Obligatoire dans les démarches d’un demandeur d’asile, l’adresse de domiciliation fut longtemps indispensable pour recevoir les courriers de l’administration française. Mais à l’heure de la dématérialisation et des “courriers électroniques”, imposer cette adresse de domicile est un “paradoxe”, selon la Cimade.
C’est une démarche obligatoire pour tous les demandeurs d’asile en France : renseigner une adresse de domiciliation lors de ses démarches administratives. Jusqu’à présent, toute personne souhaitant déposer une demande de régularisation (au titre de l’asile) avait besoin d’une adresse postale.
Et ce, “notamment pour recevoir les courriers de l’Ofpra“, rappelle Didier Leschi, le président de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), l’institution qui aide les demandeurs d’asile dans leur intégration en France. En effet, l’adresse de domiciliation fut très longtemps la seule option possible pour recevoir sa convocation à l’entretien de l’Ofpra – puis recevoir sa décision. “C’était là la fonction première de la domiciliation, ne pas rater le courrier de ce rendez-vous essentiel”, souligne encore Didier Leschi.
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De nombreux étrangers avaient témoigné ces dernières années à InfoMigrants du ralentissement de leurs procédures en raison de la perte de précieux courriers. Fatou* par exemple, une demandeuse d’asile ivoirienne, passée d’hôtels sociaux en hébergements d’urgence à Paris, avait confié en 2020 n’avoir jamais reçu des lettres essentielles à sa régularisation et craignait de perdre ses droits à l’allocation pour demandeur d’asile (Ada).
Dématérialisation des procédures à l’Ofpra
Seulement voilà, depuis plusieurs mois maintenant, de nombreuses structures de l’administration française n’utilisent plus les courriers postaux. Place à la dématérialisation.
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À l’Ofpra, en effet, l’ensemble des documents transmis aux demandeurs d’asile sont désormais déposés, depuis le mois de mai, dans un espace personnel sur Internet. En clair, après leur passage au guichet unique (GUDA) dans les locaux de la préfecture, les demandeurs d’asile obtiennent désormais une identité numérique, c’est-à-dire des “identifiants de connexion – un numéro AGDREF et une clé de connexion”, détaille un communiqué de l’institution.
Via ce portail, l’étranger a accès à tout : “même au renouvellement de son attestation de demande d’asile [valable 10 mois en procédure normale, 6 mois en procédure accélérée, ndlr]. Tout se fait par voie électronique”, confirme Gérard Sadik, spécialiste asile de la Cimade, contacté par InfoMigrants.
Alors, avoir une adresse de domiciliation, est-ce encore nécessaire ? C’est là tout le paradoxe, estime le spécialiste de la Cimade. Elle est obligatoire pour l’ouverture de ses droits. Pourtant, elle ne remplit plus son rôle premier : déposer un courrier dans une boîte à lettres.
De la Poste aux SMS et mails
À la base, se faire livrer son courrier à une adresse fixe (notamment dans les Spada ) permettait de le sécuriser, surtout lorsque le demandeur d’asile, à l’instar de l’Ivoirienne Fatou, changeait souvent de lieu d’hébergement ou était envoyé en province, dans un Cada, un CAES, ou tout autre structure du dispositif national d’accueil.
Mais avec la dématérialisation, finis les courriers papiers, place aux mails, aux sms et au coffre-fort numérique. “C’est compliqué de dire aux demandeurs d’asile qu’ils sont obligés d’être domiciliés à une adresse fixe et dans le même temps de leur dire : ’Tout va se faire par voie électronique’”, commente Gérard Sadik.
L’Ofii, de son côté, reconnaît à demi-mot que cette adresse de domiciliation obligatoire ne leur sert pas… “Nous convoquons les personnes uniquement par mail ou sms… À l’Ofii, nous n’envoyons plus rien par la Poste. La carte ADA par exemple est remise en main propre”, explique Didier Leschi. “On la remet lors du passage en préfecture [guichet unique, Guda], c’est là que nous rencontrons les demandeurs d’asile physiquement et nous leur expliquons tout.”
“Pas simple d’obtenir une quittance, un bail”
Idem pour les autres profils, comme les étrangers régularisés, déjà détenteurs d’un titre de séjour. “Pour renouveler leurs papiers en préfecture, ils doivent toujours fournir un justificatif de domicile, une adresse, alors que tous les échanges se font par mail !”, insiste Gérard Sadik.
Les prises de rendez-vous en préfecture se font en effet par internet, les déplacements physiques sont proscrits et les courriers postaux d’un temps révolu. “C’est d’autant plus incompréhensible que l’on sait qu’il n’est pas simple d’obtenir une quittance, un bail pour un étranger.”
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Malgré son caractère obligatoire dans la loi, l’adresse de domiciliation est-elle devenue complètement obsolète ? Pas complètement, nuance le spécialiste de la Cimade. Certains résistent encore à l’ère du tout numérique. La CNDA, par exemple, ne se saisit que par courrier recommandé “ou par fax”…
Même incongruité pour les Obligations de quitter le territoire français. “Les OQTF sont encore envoyées par courrier recommandé. Ou alors, elles sont remises en main propre en préfecture”, explique Gérard Sadik. “Il y a encore quelques structures qui ne sont pas passées à la dématérialisation. Mais pour combien de temps ?”
*Le prénom a été changé