Le Palais de Justice de Nîmes (Photo Anthony Maurin).

Abdallah, 48 ans, et Inès, 49 ans, sont soupçonnés d’au moins 155 escroquerie et tentatives, au tribunal judiciaire de Nîmes, mardi 29 mars 2022. Entre 2015 et 2017, les sociétés fictives du duo ont envoyé des centaines de milliers de courriers en apparence officiels réclamant plusieurs centaines d’euros à des dirigeants d’entreprises nouvellement inscrites au Kbis, partout en France, sous peine de radiation imaginaire, sous 8 jours… La combine leur a rapporté entre 1,6 et 7M d’euros.

Tandis que la brésilienne, cheveux châtain clair, lunettes à montures noires et maquillage discret, comparaît libre, son complice, barbe et cheveux grisonnants, est détenu à la maison d’arrêt de Nîmes depuis le 10 février 2022, le jour de son interpellation à la descente d’un avion en provenance de Tunisie. « J’ai simplement créé une société de publipostage. Mais je ne suis pas responsable du contenu de courriers, donc je n’étais pas au courant, se justifie la première. Il s’agissait d’offres commerciales, clairement indiquées comme telles ! »

« Je suis tombée follement amoureuse de lui »

Le président fait la moue. « Mais alors pourquoi votre entreprise a-t-elle changé de domiciliation postale à Marseille, Montpellier, Nîmes ou Arles ? », s’interroge Jean-Michel Perez. La quadragénaire a la mémoire qui flanche dès que le juge rentre dans les détails. « C’était mon client qui décidait des contenus des courriers », se défausse-t-elle

« Pourquoi l’appelez-vous votre client alors que vous aviez une relation sentimentale avec lui ? », la relance Jean-Michel Perez. La prévenue s’offusque. « C’est une question personnelle… », commence-t-elle. Mais le juge la coupe. « Non, cela regarde maintenant la justice ! Pourquoi l’avoir caché ? » La mère de famille commence à craquer. « Je suis tombée follement amoureuse de lui. Mais une fois dans sa famille en Tunisie, ça ne s’est pas passé comme je le voulais. Je n’avais pas le droit d’être avec lui, raconte-t-elle. Puis, après mon arrestation, j’ai fait 75 jours de détention en laissant mes deux enfants et mon fils s’est retrouvé en échec scolaire. »

« Mais c’est écrit en tout petit ! »

Bras croisés, l’imposant chef d’entreprise s’explique à son tour d’une profonde voix de basse. « C’est la première fois que je m’explique en deux ans, commence-t-il, gravement. J’ai fait appel à elle comme prestataire mais cela aurait pu tout aussi bien être la filiale de mise sous pli de La Poste. Aurait-on fait comparaître son PDG aujourd’hui ? Non. Et elle n’y est pour rien non plus. » Après avoir défendu son ancienne associée, le quadragénaire s’excuse à son tour. « C’est une offre facultative et non obligatoire, c’est écrit en gras sur les documents. Et puis le mot Kbis n’est pas interdit : des centaines d’entreprises l’utilisent !, oppose-t-il. Je ne me suis pas fait passer pour un organisme officiel, ni fait de publicité mensongère. Je ne suis pas un escroc. »

Le juge ne le voit pas de cet œil. « Mais c’est écrit en tout petit ! », rétorque Jean-Michel Perez. « Ce sont les caractères légaux, en taille huit, mais nous les avons mis en gras, ce qui n’est pas obligatoire », soutient encore calmement le prévenu. Le procureur intervient. « Sur vos courriers, que signifie la phrase « Sans réponse de votre part, vous serez automatiquement radiés de nos fichiers’ »? Ça ressemble à une obligation cette tournure », tente de le coincer, Vincent Edel. « Je ne le vois pas comme ça, feint de ne pas comprendre le prévenu. Nous fournissions un vrai travail : nos ingénieurs ont augmenté le référencement de ces entreprises. Sur 411 000 courriers envoyés, que quelques-uns se plaignent, soit ! »

« On m’a demandé 20 000 euros pour sortir de prison »

Grâce à une cinquantaine de chèques de règlement ainsi obtenus, chaque mois, l’entreprise aurait généré entre 1,6 et 7M d’euros, selon l’enquête. « C’est du fantasme : on pèse, on multiplie et ça fait des milliards. On m’a demandé 20 000 euros pour sortir de prison – ça m’aurait évité un mois et demi avec des apaches – mais je ne les avais pas, balaie l’ancien d’entreprise. Ça m’a plus coûté que rapporté : je me suis endetté et je me retrouve ici, à 48 ans… »

Le procureur ne se laisse pas attendrir. « Vos victimes pensaient régulariser leur situation aux greffes du tribunal de commerce. On peut leur reprocher de ne pas avoir suffisamment réfléchit, mais c’est vous qui avez créé cette confusion, lance Vincent Edel. Pire, vous avez tenté de brouiller les pistes, à dessein, en créant plusieurs boîtes aux lettres dans des immeubles, sans local commercial, pour recevoir les courriers. Ce n’est pas anodin. Y a-t-il volonté de tromper ? Oui, car sinon leur offre aurait précisé qu’il s’agissait d’une proposition de référencement et non d’un avertissement de radiation ! » Requérant 24 mois d’emprisonnement, dont 18 avec sursis contre l’homme d’affaire, il demande la relaxe de son ancienne partenaire.

Mais le tribunal la condamne tout de même à deux ans avec sursis. Le serial entrepreneur, qui a depuis créé une nouvelle start-up à succès en Tunisie, est lui condamné à 4 ans avec sursis, et l’interdiction de gérer une entreprise en France pendant 10 ans et de territoire pendant 5 ans.

Pierre Havez

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