Dans l’ambiance feutrée du grand salon, Xavier consulte tranquillement ses derniers mails. Installé sur une table en bois massif, un café brûlant déposé à côté de son ordinateur portable, l’homme semble imperturbable : ni les conversations étouffées des autres clients, ni la musique lounge diffusée à faible volume ne le font décrocher de son écran. « J’ai toujours aimé travailler dans des espaces ouverts. C’est bien plus vivant que les petits bureaux fermés », justifie-t-il, jetant un regard bienveillant sur les salariés qui l’entourent. Car contrairement aux apparences, l’homme d’affaires n’est pas venu passer sa matinée dans un luxueux café parisien. Le vaste espace dans lequel il a pris place, avec vue exceptionnelle sur la place de la Concorde, est en réalité son nouveau lieu de travail, partagé avec des dizaines d’autres « co-workers ». « Le site est impressionnant, n’est-ce pas ? », sourit-il, ravi. Et pour cause : pour un budget de 900 euros par mois, ce Parisien s’est offert une place de choix dans les étages de l’Hôtel de la Marine, occupé jusqu’en 2015 par l’état-major de la Marine Nationale, puis racheté par l’entreprise de coworking Morning.
Rénové pendant quatre ans, puis inauguré en juin 2020, le site propose à ses collaborateurs plus de 6000 mètres carrés d’open-spaces, de bureaux privés et de salles de réunion, répartis sur les trois derniers étages du bâtiment. Mais attention : ici, le coworking se veut « premium ». Mobilier créé sur-mesure, conciergerie à disposition des salariés, cours de sport, salle de massage installée dans un cabinet ayant été occupé par Guy de Maupassant – un temps commis au ministère de la Marine -, salle de sieste tamisée installée sous les voûtes de l’édifice… Le lieu souhaite correspondre à un certain « standing » de travailleurs. « C’est ce que je recherchais : je préfère mettre le prix et travailler dans un espace haut de gamme, qui correspond davantage à mes besoins qu’un bureau rempli d’étudiants ou de jeunes en train de lancer leurs start up », résume Xavier, qui travaille notamment avec de grands directeurs financiers. « Je dois pouvoir les recevoir dans un environnement adapté », ajoute-t-il, avant de se remettre au travail.
Un coworking de luxe qui séduit les salariés indépendants, comme Xavier, mais également de grands groupes ou organisations, comme la Fédération internationale de football (Fifa). « Le lieu connaît un vrai succès : à l’ouverture, il y a un an et demi, nous comptions seulement 10% de taux de remplissage de nos bureaux. Maintenant, nous sommes à 70%… Et ça ne fait qu’augmenter », confie Agathe Fouache, chargée de communication pour Morning. La jeune femme l’admet : cet espace, loué pour un bureau fermé aux alentours de 1200 euros par mois et par poste, est plus cher que d’autres lieux de coworking proposés par Morning. « Mais on s’adapte à tous nos types de clientèle », fait-elle valoir. « Il faut s’aligner aux demandes du marché, qui ont largement évolué depuis la pandémie », abonde de son côté Alain Brosset, fondateur de l’entreprise belge Welkin & Meraki, qui propose également des espaces de coworking « haut de gamme ».
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« Ici, vous ne verrez pas de murs de toutes les couleurs »
En novembre dernier, sa société a inauguré un espace de coworking de plus de 3000 mètres carrés, étendu sur deux étages de la tour Trinity, dans le quartier d’affaires de La Défense. Et Alain Brosset préfère l’annoncer tout de suite : « Nous nous sommes positionnés en tant que joueurs premium ». Dans ses bureaux, l’homme d’affaires promet ainsi un aménagement « plus corporate et plus sobre » que dans des lieux de coworking dits « classiques ». « À la hauteur des clients que nous recevons », précise-t-il, dressant la liste non-exhaustive des grands financiers, banques, assurances ou mastodontes du CAC40 occupant déjà ses locaux.
« Ici, vous ne verrez pas de murs de toutes les couleurs, et nos clients ne descendent pas prendre une bière à 17 heures en jean et en t-shirt. Il n’y a pas non plus de cours tous les deux soirs pour apprendre à faire des smoothies ou peindre ses ongles », lâche-t-il. « Chez nous, c’est plutôt le business serious ». En revanche, Welkin & Meraki insiste sur la panoplie de prestations de luxe accordée à ses clients, allant d’un service barista et repas « haut-de-gamme » à une conciergerie proposant pressing et chemises de rechange à tout moment de la journée, tout en passant par un service de réparation de chaussures. « Les grandes entreprises que nous servons ne peuvent pas non plus s’installer dans un monde de coworking si les bureaux ne sont pas adaptés, en termes de sécurité, de connexion ou de normes de confidentialité par exemple », ajoute Alain Brosset, qui affirme répondre à une demande « en progression continue » depuis la pandémie.
Depuis mars 2020, malgré la pandémie, son entreprise a connu une croissance de 32%, et se targue désormais d’un taux d’occupation de 85% dans ses bureaux de la Tour Trinity, proposés à partir de 600 euros par mois et par poste de travail. « Le marché du coworking premium était déjà là, mais il a été formidablement accéléré par la crise sanitaire », décrypte le fondateur de Welkin & Meraki. « Avec le télétravail et l’insécurité provoquée par le Covid, les grandes sociétés sont plus que jamais demandeuses de flexibilité : agrandir ou réduire leurs bureaux comme elles l’entendent, et gérer par elles-mêmes ces espaces ». Sur les prochains mois, Alain Brosset assure d’ailleurs que le taux d’occupation de ses locaux reste stable. « On signe des contrats pour deux, trois ans, très souvent renouvelés. Pour le moment, nous avons une visibilité sur l’occupation de nos bureaux de presque 100% pour six ans », explique-t-il.
« Réseau et lien social »
« Ça ne fait que croître, on a eu une demande faramineuse depuis septembre dernier », confirme Laurent Geneslay, fondateur de The Bureau et propriétaire de quatre adresses de coworking « premium » dans la capitale. Même recette, même succès. Service de conciergerie, coursier, fibre ultra-rapide, matériel informatique dernier cri, décoration sobre, restaurants haut de gamme intégrés directement dans des locaux placés dans les quartiers les plus chics de Paris… Les espaces proposés par The Bureau ont séduit une nouvelle population de CSP + et de grands groupes, désireux de s’installer dans des open spaces cossus et disponibles « à la carte ». « Avec la pandémie, nous étions descendus à 65% de taux d’occupation… Pour remonter à 85% dès la sortie de crise », indique ainsi Laurent Geneslay, qui annonce un prix par poste de travail et par personne oscillant entre 800 et 850 euros par mois.
« On met le prix, mais ça vaut le coup », témoigne Marie Hombrouck, chasseuse de tête et cliente de The Bureau. Pour deux espaces privatisés dans le 7e arrondissement, cette ancienne avocate débourse désormais 6000 euros par mois, tout inclus. « Vous avez tous les services, le mobilier, Internet, les frais de ménage, de conciergerie, les espaces communs… Et une flexibilité que vous ne trouvez nulle part ailleurs », souligne-t-elle. Pendant le confinement, période plus creuse, la cheffe d’entreprise a ainsi pu abandonner l’un de ses deux bureaux, pour finalement le relouer à la fin de la crise. « Ça m’a beaucoup aidée », confie-t-elle, par ailleurs ravie des « petits avantages » du coworking.
« Vous rencontrez énormément de personnes différentes, vous vous créez un réseau, et du lien social », explique Marie, prenant pour exemple une anecdote qui l’a particulièrement marquée. Après la pandémie, légèrement démoralisée, la Parisienne échangeait avec un membre du service restauration, évoquant son goût pour les oursons en chocolat qu’elle ne trouvait malheureusement pas à la cafétéria du lieu. « Après une réunion, je suis revenue dans mon bureau, et il en avait placé partout dans mon bureau. C’est le genre de petites attentions qui remettent de l’humain dans notre job ! », s’enthousiasme Marie. Et le pari semble fonctionner : très prochainement, un nouvel espace The Bureau ouvrira dans le IIe arrondissement de Paris. Laurent Geneslay, lui, assure déjà surveiller le marché du coworking dans d’autres grandes métropoles, comme Bordeaux, Lyon ou Lille.
« Comme les Iphone »
Lawrence Knights, co-fondateur des espaces de bureau Kwerk, confirme également la tendance… Et ose même la métaphore avec Apple. « C’est comme les Iphone, on en sort un chaque année », plaisante-t-il. Fondée en 2015, son entreprise assume parfaitement son positionnement « luxe », proposant même à ses clients des espaces de travail totalement personnalisables – du système de cloisonnement d’un open space au type de matériau utilisé pour la fabrication du mobilier. « Nos espaces communs sont, eux, traités comme les lobbies d’un grand hôtel, avec un travail très fort sur le design et une exclusivité sur nos services et espaces de réception, ce qui créé un fort sentiment d’appartenance pour nos membres », atteste Lawrence Knights, qui indique accueillir au sein de ses espaces des responsables de fonds d’investissement, de banques d’affaires ou de grands cabinets d’avocats.
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« Ils sont très exigeants, il faut être à la hauteur de leurs attentes », souligne-t-il, évoquant des prix à partir de « 2000-2500 euros du mètre carré ». « Mais ça peut aller bien au-delà en fonction des demandes du client », précise le co-fondateur. Qu’importe : chaque année, ses bureaux sont de plus en plus plébiscités. Lors de l’ouverture de l’un de ses premiers bâtiments, en 2017, le taux de remplissage était de 50%. Le suivant, ouvert en mai 2020, était pré-rempli à 60%. Les bureaux qui ouvriront prochainement à Saint-Honoré, dans le XVIIIe arrondissement, sont, eux, déjà remplis à plus de 90%.
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