Salornay-sur-Guye (Saône-et-Loire), reportage

Olivier et Vincent se passent des sachets de viande découpée. Les uns après les autres, ils les mettent sous vide, grâce à une scelleuse. Les deux producteurs ont loué les locaux de Melting Popote pour la journée. Au milieu de la campagne clunisoise, à Salornay-sur-Guye, cette association met à la disposition des agriculteurs différents espaces de transformation alimentaire. Opérationnel depuis 2020, ce laboratoire partagé est l’un des rares implanté en milieu rural en France.

« L’idée du projet a émergé chez des personnes qui avaient besoin d’un laboratoire », dit Boris Chevrot, chargé de développement économique de la communauté de communes du Clunisois, qui a porté le projet tout au long de son élaboration. « Notre territoire est à la fois agricole et touristique, et compte aussi plusieurs services scolaires et cantines. Les acteurs de ces différents secteurs ont vu l’intérêt de se retrouver autour d’un projet de cuisine commune ».

Une maraîchère d’un GAEC voisin vient livrer des cardons afin qu’ils soient mis en bocaux à l’association. © Arnaud Finistre / Reporterre

Mais une simple cuisine centrale, comme on en voit dans certaines municipalités pour préparer les repas des collectivités, n’aurait pas suffi pas à répondre à tous les besoins : sur cette terre d’élevage, un laboratoire de découpe s’imposait dans le projet. « Il nous fallait un lieu un peu “couteau suisse”, décrit Boris Chevrot, un laboratoire aussi divers que notre territoire. » Une boucherie, une légumerie, un séchoir à viande, une pâtisserie, une cuisine ; autour de son long couloir, les portes battantes de Melting Popote s’ouvrent sur différentes pièces, chacune dédiée à une activité spécifique.

Des cardons aux escargots

Estelle Bouchot, spécialisée dans l’héliciculture, a été l’une des premières à tester le local conçu pour préparer les escargots. « Après les avoir endormis, on les fait entrer dans cette pièce, et ils sont ébouillantés dans ces marmites », dit la productrice, installée à Blanzy à une trentaine de kilomètres du labo. Dans la même salle, elle décoquille, calibre et brasse ses escargots dans du gros sel, les fait refroidir, blanchir… Empaquetés dans des sachets, ils sont ensuite placés au surgélateur. Pour ces différentes étapes, Estelle a accès à tous les équipements de Melting Popote. Autant de matériel qu’elle n’a pas eu à acheter : « Je ne voulais pas installer un laboratoire de transformation à la maison car c’est difficilement rentable lorsque l’on commence », explique l’éleveuse, qui a lancé son activité il y a deux ans. « C’est un investissement important » : elle estime à 120 000 euros le coût d’un tel local.

Emmanuel Gaillard, cuisinier de l’association prépare des bocaux de cardons dans un laboratoire. © Arnaud Finistre / Reporterre

Après avoir lui aussi utilisé l’espace de Melting Popote pour son élevage d’escargots situé à l’autre bout du département, Vincent Bazile a récemment opté pour une autre solution, plus près de son exploitation : il loue son propre laboratoire à la mairie de Cronat. L’héliciculteur, venu donner un coup de main à un éleveur voisin, reconnaît toutefois que « l’avantage de Melting Popote, c’est que les prix sont tout compris, alors qu’une location classique implique de lourdes charges. »

Au sein de l’association, les producteurs comme Vincent ou Estelle ont accès aux espaces et à tout le matériel pour 150 euros par jour. Ce tarif varie selon les prestations choisies. La location en « gestion libre » n’est en effet pas la seule solution : les producteurs peuvent aussi confier leurs produits bruts au cuisinier et au boucher de Melting Popote, Emmanuel Gaillard et Benoît Montillet. Une dernière option, mixte, leur permet de diminuer leur facture en mettant la main à la pâte, tout en restant épaulés par Emmanuel et Benoît. « Nous nous adaptons aux demandes des producteurs », résume le cuisinier, qui prépare également des repas pour quelques cantines du Clunisois, deux fois par semaine.

Benoît, le boucher de l’association débite la viande de producteurs locaux dans son laboratoire. © Arnaud Finistre / Reporterre

« Ce lieu est une réponse à la diversité des besoins du territoire pour promouvoir les circuits courts », résume Boris Chevrot. Lorsqu’ils veulent développer la vente directe, les producteurs se heurtent en effet à divers obstacles : où découper leur viande ? Où cuisiner leurs plats préparés ? Où mettre en conserves leurs légumes ? « En venant ici, les agriculteurs recherchent avant tout un environnement réglementaire », observe Olivier Belet, ingénieur agronome et coordinateur de l’association, qui rappelle que « légalement, la nourriture destinée à la restauration collective ou à la vente ne peut être produite que dans les lieux disposant d’un agrément sanitaire ». Melting Popote garantit notamment à ses utilisateurs le respect des normes d’hygiène HACCP (système d’analyse des risques et de maîtrise des points critiques), applicables dans l’agroalimentaire.

« On sait ce qu’on met dans nos paquets »

Car outre l’aspect financier, investir dans un laboratoire de transformation implique son lot de contraintes, et peut aussi tourner au casse-tête administratif. Beaucoup de producteurs ont donc recours à des prestataires extérieurs. Mais ces derniers ne sont pas toujours à côté de chez eux, et ne proposent pas la même flexibilité. Avant de venir mettre sa viande sous vide chez Melting Popote, Olivier Briet faisait appel à un atelier de transformation près de l’abattoir de Luzy, dans le Morvan. Mais « nous préférons pouvoir préparer nous-mêmes nos produits, car au moins, on sait ce qu’on met dans nos paquets », confie-t-il. L’éleveur a aussi choisi de préparer des pots-au-feu en gelée. Grâce aux deux autoclaves de la cuisine de Melting Popote, que seul Emmanuel peut utiliser, les bocaux sont stérilisés. Un service que plébiscitent tant les éleveurs que les maraîchers, qui déposent des légumes à ratatouille, des haricots, des cardons…

Aidé par Olivier, un producteur de viande, Benoît le boucher prépare des steaks hachés frais. © Arnaud Finistre / Reporterre

« Nos services permettent aux producteurs de se différencier, dit Olivier Belet. Notre structure, de par sa petite taille, est plus flexible que d’autres laboratoires de transformation. Nous sommes donc à même de préparer des produits élaborés différents : des terrines, des rillettes, de la viande séchée… Nous allons au-delà des produits découpés, vendus traditionnellement en direct. » Cette proposition a séduit Pierre Pontet, éleveur de volailles à côté de Salornay, à Baugy. Ce matin, il livre deux cagettes de poulets, qui seront transformés en terrines. « Depuis le début de l’année, j’essaie d’élargir ma gamme en proposant des plats cuisinés, mais il est compliqué d’avoir un outil de travail sur son exploitation », dit l’éleveur. Sa ferme est pourtant déjà dotée d’un abattoir. « Mais un laboratoire de transformation, c’est encore un coût supplémentaire, et il faut savoir comment s’y prendre. Chacun son travail ! »

Découpe et conseils

Quelques heures plus tard, ses poulets sont étalés sur une table, devant Benoît, le boucher de Melting Popote. « Ici, c’est mon atelier. Cet espace n’est pas ouvert à la location, car le matériel est cher, et potentiellement dangereux. » De la musique rock en fond, Benoît découpe les volailles en pièces. Avant d’atterrir chez Melting Popote, il est passé par le commerce de gros, la boucherie artisanale et la grande surface. « Ce que j’aime ici, dit-il, c’est qu’on travaille pour les producteurs. Je suis beaucoup dans le conseil : je leur explique comment mieux valoriser leurs viandes, comment mieux la rentabiliser. Plutôt que de faire des saucisses, je peux par exemple leur suggérer autre chose. »

Benoît, le boucher de l’association contrôle les saucissons dans le séchoir. © Arnaud Finistre / Reporterre

Le projet de Melting Popote a mis plus de cinq ans à voir le jour. « Au début, on nous a déconseillés de le faire, se souvient Boris Chevrot, on nous a dit que nous n’arriverions jamais à répondre aux différents niveaux de contraintes des divers laboratoires. » Il a donc fallu convaincre. Les financeurs d’abord : au total, près d’un million d’euros ont été investis, de l’ingénierie de projet à l’équipement des cuisines. Des subventions ont été versées à différents échelons politiques : communauté de communes, mais aussi département, région, Union européenne… Aujourd’hui, l’équilibre financier de la structure n’a pas encore été atteint. Mais l’association emploie trois salariés à plein temps, et recourt aussi à du personnel à temps partiel.

L’objectif, à terme, est de transiter vers une société coopérative, à laquelle pourront prendre part les différents membres du conseil collégial qui gère aujourd’hui l’association, et qui comprend les salariés, des élus, des producteurs mais aussi des citoyens. « Il fallait aussi faire le pari que les producteurs changeraient leurs habitudes », poursuit Benoît Chevrot. Un pari qui semble gagné : près d’un an et demi après son ouverture, le planning de Melting Popote se remplit. Une trentaine de producteurs ont déjà fait appel à ce lieu de « coworking alimentaire », dont une vingtaine de manière régulière. Pour Boris Chevrot, il n’y a pas de doute : « Cette structure deviendra un modèle pour faire de la transformation alimentaire de proximité. »


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