Elle est contrôleuse générale des lieux de privation de liberté depuis 2020. Elle revient sur les conditions d’exercice du droit de vote pour les détenus à l’occasion du scrutin présidentiel anticipé organisé dans les prisons françaises dont Villeneuve-les-Maguelone. 

Aux dernières présidentielles de 2017, 1 093 détenus sur 70 000 ont voté, et 4 500 aux européennes. C’est dérisoire. Ils sont les grands oubliés de la démocratie ou c’est le reflet de la société ?

Il ne faut pas oublier ceux qui sont privés des droits civiques et les étrangers qui n’ont pas le droit de vote. Je pense qu’il y a de tout. Et puis, il y a le problème d’avoir une pièce d’identité en cours de validité. Ça, c’est très compliqué. Les visiteurs de prison, les éducateurs le disent. Surtout depuis le Covid où il y a eu des restrictions, des officiers d’état civil qui se déplaçaient dans les prisons. Là, c’est terminé. Ensuite, il y a la difficulté de la domiciliation (souvent les détenus n’ont plus de domicile). Les détenus peuvent se domicilier dans leur prison, c’est facilité depuis 2019, et peuvent voter par correspondance. Et dans le cas d’une permission de sortie, cela rejoint la procédure judiciaire. Ils peuvent faire une procuration et depuis peu, choisir un mandataire qui n’est pas domicilié dans le même bureau de vote. Mais oui, petite à petit, les choses changent. “Ce n’est pas dans les conditions actuelles de détention que l’on acquiert une citoyenneté”. 

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L’abstention y est très forte, est-ce le reflet de la condition sociale des incarcérés ?

En prison, c’est un endroit où il y a énormément de personnes pauvres. Le dernier rapport d’Emmaüs – Secours catholique à ce sujet est effarant. On a des personnes qui viennent de l’aide sociale à l’enfance, de gosses jetés à la rue. Ce n’est pas un public qui vote beaucoup, qui a confiance dans les institutions parce qu’il est à l’abandon depuis des années. Il y a beaucoup d’indigents en prison qui ne croient pas que cela va changer leur situation. Ce n’est pas dans les conditions actuelles de détention, un endroit où la loi européenne et française n’est pas respectée, qu’on acquiert une citoyenneté.

Les documents électoraux sont distribués. Les détenus ont-ils réellement accès à la propagande politique, leur accès aux médias, à internet étant limité voire interdit, pour déterminer leur vote ?

Les journaux, il faut être abonné ou pouvoir aller à la bibliothèque. Ils ont la télévision qui diffuse les programmes électoraux, on la regarde ou pas. Le problème, quand on est trois dans la même cellule, les détenus ne sont pas forcément d’accord sur les émissions à regarder, c’est le plus faible qui va perdre. C’est le problème de la surpopulation en prison où il y a aussi des présumés innocents. C’est honteux, la façon dont on laisse vivre les gens.

On sait qu’il y a l’accès aux téléphones portables et aux réseaux sociaux même si c’est interdit.

On préconise l’accès légal à internet pour tous sous contrôle. C’est étrange car on fait semblant que le phénomène n’existe pas. On ne sait pas si les téléphones portables servent à s’informer sur la campagne, mais ils pourraient. On sait que les portables circulent comme la drogue. Il y a un aveuglement à vouloir interdire ce qui se balade partout.

Les candidats peuvent faire campagne en détention mais très peu s’y risquent. La démarche est souhaitable ?

Oui, je trouve, car sinon cela veut dire que vous ne considérez pas les détenus comme des citoyens. Ce n’est pas différent que d’aller sur un marché à la rencontre des électeurs. Je regrette de ne pas avoir invité les candidats à s’y rendre pour faire campagne.

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