Ça tourne. Un gros plan d’Eric Zemmour, hilare dans les rues de Paris, s’élargit peu à peu pour faire apparaître Stéphane Ravier. Le sénateur démissionnaire du Rassemblement national traverse lentement (et symboliquement) la rue qui le sépare du candidat pour lui tomber dans les bras. La vidéo, méticuleusement mise en scène par les équipes de campagne, est ensuite postée sur les réseaux sociaux et largement relayée pour officialiser le ralliement de l’ex-frontiste à son ami de longue date. C’était un secret de polichinelle. Depuis des semaines l’élu marseillais multipliait les actes de défiance envers le RN et sa présidente, scindant le groupe sudiste entre les pro et les anti-Marine Le Pen. 

Si le mouvement de Stéphane Ravier était attendu, il n’en reste pas moins marquant. Après Gilbert Collard et Jérôme Rivière, c’est un troisième cadre frontiste qu’Eric Zemmour entraîne dans son sillage, et, avec lui, plusieurs élus locaux. Dans quelques fédérations, les fidèles de Marine Le Pen changent peu à peu leur fusil d’épaule pour rallier le candidat nationaliste. En Auvergne-Rhône-Alpes, plusieurs conseillers régionaux, qui avaient déjà quitté le groupe RN en décembre, ont eux aussi franchi le pas. Et les zemmouristes, avides de teasing, ne cessent de le répéter. “D’autres suivront, vous verrez, on vous réserve des surprises.” Ce n’est pas l’hémorragie promise au début de la campagne, mais entre Reconquête et le RN, la digue est rompue, et un flux régulier, et largement scénarisé, vient alimenter le parti d’Eric Zemmour.  

“Marine, ça fait 3 ans que tu me tapes dessus. Tu as choisi de me virer de la CNI, c’était un acte hostile, le conflit n’est pas soldé”

Le nom qui circule désormais dans les couloirs du QG est celui de Nicolas Bay. Ecarté depuis 2018 de son poste de vice-président du RN, et plus récemment de la commission nationale d’investiture (CNI) du parti, il fait partie de cette aile conservatrice libérale que la direction de l’appareil ne voit pas d’un bon oeil. De ceux qui serrent les poings devant certains renoncements de la candidate, “sur Schengen, la PMA, la binationalité”. D’autant qu’il a un accès direct à Eric Zemmour, qu’il connaît bien et avec qui il échange régulièrement. En janvier, alors que des rumeurs sur son départ commencent à monter, le téléphone de l’eurodéputé sonne. Au bout du fil, une Marine Le Pen fébrile. Elle le questionne sur ses intentions, lui demande de s’impliquer dans la campagne. La réponse est cinglante : “Marine, ça fait 3 ans que tu me tapes dessus. Tu as choisi de me virer de la CNI, c’était un acte hostile, le conflit n’est pas soldé.” Il raccroche. Nicolas Bay boit du petit-lait. Après trois années de disgrâce, c’est lui qui a finalement les cartes en main. L’équipe dirigeante le sait, et tous, avec lui marchent sur des oeufs. “Il ne faudrait pas me donner une raison de partir”, raille-t-il en privé. 

Offre limitée. 2 mois pour 1€ sans engagement

Je m’abonne

Aujourd’hui, on en est certain. Le départ de l’eurodéputé n’est qu’une question de jours. Samedi, Eric Zemmour se rendra en Normandie, terre d’élection du frontiste, pour un déplacement. Et, comme à leur habitude, les équipes promettent “une surprise”, sourire en coin. Dans les hautes instances du RN, la pilule est amère. “Bay c’est la version limace des déserteurs, lent et baveux”, lâche un membre de la direction. “Evidemment, on a des ralliements RN, car ils savent que leur parti fonctionne comme une mafia, et qu’ils ne peuvent rien espérer là-bas, alors que chez nous, il reste beaucoup de postes à prendre”, commente un artisan de la campagne, qui se réjouit de cette OPA organisée. Alors la zemmourie se fait charmeuse. “On sait comment tu es traité au RN, ce ne sera pas le cas avec nous. Ta place est à nos côtés” : ce genre de message est envoyé à des cadres RN, souvent proches de Marion Maréchal, partisans d’une ligne plus libérale et défenseurs de l’union des droites. Même les plus marinistes des élus sont sondés. Il y a quelques semaines, plusieurs, dont Edwige Diaz, fraîchement nommée porte-parole de la campagne, reçoivent un texto. “Rejoins-nous, tu seras candidat aux législatives, on peut te prendre en charge financièrement.” 

“Il faut arrêter d’entretenir cette légende de maltraitance selon laquelle ces gens-là seraient nos Ouïghours”

Plus d’un observent, se questionnent. Des élus du Sud, notamment, qui dénoncent la mainmise du “clan d’Hénin-Beaumont” sur le parti à la flamme. Des noms sont glissés, par-ci par-là. Celui de Romain Lopez, maire de Moissac, privé d’une visite de Marine Le Pen pour ses déclarations jugées trop Zemmour-compatibles. Celui de Julien Sanchez, maire de Beaucaire, “fidèle à l’appareil, mais qui n’en pense pas moins”. Celui, aussi, de Philippe Vardon, ancien identitaire proche de Nicolas Bay, qui “ne devrait pas tarder à changer de camp”. Les frontistes fulminent. Marine Le Pen également. En privé, elle l’assure : elle est persuadée qu’il existe un “modus operandi”. “Tous les ralliements se font de la même manière, au compte-goutte, sans un texto, sans un coup de fil. L’objectif n’est pas de rallier Zemmour, mais de tuer le RN”, jure-t-elle.  

Mais beaucoup attendent “de voir”. “Pour l’instant, on nous présente un beau gâteau, mais pour bouger, il me faudrait la cerise”, sourit un cadre. La cerise a un nom, c’est Marion Maréchal. Tous ses proches voient, ces dernières semaines, les voyants passer au vert. Chez Reconquête, on glisse sans vergogne depuis des mois que “Marion sera évidemment des nôtres”. Son ralliement, brandi comme un talisman, devrait faire basculer tout un pan d’élus et finir de siphonner ce qu’il y avait à prendre au Rassemblement national. 

“Il faut arrêter d’entretenir cette légende de maltraitance selon laquelle ces gens-là seraient nos Ouïghours, raille un cadre frontiste. On leur donne des mandats d’élus, des responsabilités, et ils nous crachent à la gueule. Ça suffit.” Au RN, ces ralliements sont minimisés. Pour la direction, tous avaient déjà un pied dehors. “C’est l’étape finale de la dédiabolisation. Ceux qui partent ont toute leur place dans ce parti d’extrême droite, ce sont les reliques de la mort”, s’esclaffe un dirigeant. Marine Le Pen, elle-même, soutient que dans cette bataille, elle n’a “perdu aucun ami”. Pour d’autres, les départs sont plus compliqués à vivre, sur le plan humain notamment. Le grand mercato de la droite nationale brise des amitiés. Louis Aliot, ami de longue date de Jérôme Rivière, lui a demandé de rendre son mandat, qu’il doit au RN. “Tu démissionnes, et on reste amis”, a-t-il proposé. Refus de l’intéressé. Le maire de Perpignan a rompu le contact. 

L’application L’Express

Pour suivre l’analyse et le décryptage où que vous soyez

Télécharger l'app

Télécharger l’app

Sur le même sujet

Mais pour les anciens frontistes ayant franchi le Rubicon, la responsabilité incombe à la candidate RN. “C’est le comportement de Marine Le Pen qui a permis l’émergence de Zemmour, assure l’un d’entre eux. Elle a créé un espace qui a permis son avènement en agissant sans prendre en compte les différentes sensibilités en interne. Zemmour n’a fait que mobiliser ceux qui représentaient un courant dissident, mais ils auraient pu vivre comme une chapelle dans le parti.” Les frontistes coupent court. Il reste chez eux des gens capables et fidèles à leur famille politique, avec qui ils travailleront. Ce sera d’ailleurs l’occasion de “faire monter des jeunes”, de faire apparaître de nouvelles figures. “On ne sera plus obligés de travailler avec des gens qui nous posent des problèmes”, assène un cadre. Un déserteur réplique : “Au RN c’est le règne du pas de vaguisme mais à force d’éviter les vagues, vous ramassez un tsunami.” 

Table des matières

Les plus lus

Opinions

Chronique

Yascha Mounk vient de publier "La grande expérience" (L'Observatoire)Par Yascha Mounk

Chronique

Pierre Assouline, journaliste, écrivain, membre de l'académie Goncourt et chroniqueur à L"Express.Pierre Assouline

Chronique

"Quand on fait face à une épidémie qui génère des hospitalisations à un rythme exponentiel, il n'y a malheureusement aucune possibilité technique d'adapter le nombre de lits aux besoins."Par Nicolas Bouzou

Chronique

Le Pr Gilles Pialoux est chef de service d'infectiologie de l'hôpital Tenon (AP-HP), à Paris.Par le Pr Gilles Pialoux

Recherche Google News – Cliquez pour lire l’article original

Source Google News – Cliquez pour lire l’article original