2014, dans les couloirs du Carré, siège du Front national à Nanterre. Un jeune militant frappe à la porte de Nicolas Bay, secrétaire général du parti. Il postule au poste de secrétaire départemental de la Seine-Saint-Denis. L’entretien se passe bien, les deux hommes s’entendent, la candidature est validée. La nouvelle recrue s’appelle Jordan Bardella. Il quitte le Carré rassuré, adoubé par Nicolas Bay. Souvent, la politique emprunte au vaudeville.
Près de huit ans plus tard, c’est Jordan Bardella, président du Rassemblement national, qui signe la lettre d’expulsion de l’eurodéputé, parti rejoindre Eric Zemmour. Lui-même ne semble pas en revenir. “Si on m’avait raconté ça, en 2012 à la cité des Bosquets de Montfermeil, je n’y aurais pas cru”, jure-t-il depuis son bureau du XVIe arrondissement parisien, décoré de photos où il pose à Fréjus, tout sourire, aux côtés de Marine Le Pen.
“On lui a vendu le rôle du dauphin, mais il est pris dans les nasses du marinisme, et si elle tombe, il tombe avec elle”
Aujourd’hui, la mine est moins radieuse. Depuis sa nomination à la tête du parti, en septembre, plusieurs figures ont déserté les rangs frontistes pour ceux du candidat nationaliste, dénonçant le fonctionnement “clanique” du RN. Dans les fédérations, les militants aussi font défection, le parti, endetté de plus de 20 millions d’euros se délite, la concurrence d’Eric Zemmour contrarie les plans de Marine Le Pen d’accéder au second tour. Et c’est au président de remobiliser les troupes, de faire tenir debout un appareil branlant. “J’ai pris la barre du Titanic”, ironise maintenant Jordan Bardella. Un air d’injustice flotte dans les airs. Car c’est au bon soldat militant, dont le parcours est exemplaire, qu’on confie les clés de la maison qui coule – ou qui brûle.
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“Être président du parti en ce moment, c’est un cadeau empoisonné. Tout le monde sait que le jour où ça s’écroule, c’est lui qui servira de fusible”, croit savoir un cadre. “Lui-même sent que ça peut mal tourner, ajoute un autre. Il a compris qu’il était tout seul. On lui a vendu le rôle du dauphin, mais il est pris dans les nasses du marinisme, et si elle tombe, il tombe avec elle.” Peut-être, admet l’intéressé. Mais au moins, lui, pourra “se regarder dans le miroir”. “On n’abandonne pas lâchement ses troupes à 50 jours de l’élection”, fustige-t-il. Droit dans ses bottes. Jordan Bardella “est front”, comme on dit au RN. A 26 ans, il croit encore “au sens du sacrifice en politique”, et l’a démontré ces dernières années. Bombardé tête de liste pour les élections européennes, en 2019, il sait qu’il n’a pas le droit à l’erreur. Cette élection doit être le marchepied de Marine Le Pen pour installer durablement son duel avec Emmanuel Macron dans le paysage politique. “Si on termine deuxième, ça remet tout en cause”, lui glisse à l’époque la patronne du parti. La pression est lourde. Mais le pari est réussi, la liste RN remporte l’élection, devant celle de la majorité présidentielle portée par Nathalie Loiseau.
“Il est intelligent, pour l’instant il joue le jeu de Marine parce que ça sert ses objectifs, mais le jour où il faudra l’achever il le fera”
2021, rebelote. Il est envoyé au front, presque au charbon, pour les élections régionales en Île-de-France. Mais, bon soldat, il accepte son sort. “Marine Le Pen m’avait dit que j’étais le meilleur candidat, j’y suis allé.” Terre hostile pour le RN, il échoue à mener la percée escomptée et finit troisième, derrière les listes de la droite et de l’union de la gauche. Il serre les dents, encaisse la défaite, et se prépare à l’après. Car Jordan Bardella a de l’ambition. “Je veux le pouvoir, je veux diriger”, assume-t-il. Qu’importe si pour cela il doit subir des élections en terrains difficiles, enchaîner les plateaux TV pour défendre la ligne frontiste. “Il est très lucide sur les faiblesses du parti, et même celles de Marine Le Pen, mais il est jeune et sait qu’il a le temps devant lui, alors il attend patiemment sans faire de vague”, assure un proche de la candidate. Dans les couloirs du QG, certains soupçonnent le dauphin de jouer le coup d’après. “Il veut être président de la République, croit savoir un élu RN. Alors il est intelligent, pour l’instant il joue le jeu de Marine parce que ça sert ses objectifs, mais le jour où il faudra l’achever, il le fera.”
“Jamais”, jure Jordan Bardella qui répète à quel point il considère la fidélité comme une vertu cardinale et se désintéresse aux “jeux politiciens”. Plus encore pour celui qui a lié, en plus de son histoire politique, son destin personnel à la famille Le Pen. Sa compagne, Nolwen Olivier, n’est autre que la fille de Philippe Olivier, premier conseiller de Marine Le Pen, et de sa soeur, Marie-Caroline, l’un des éléments essentiels de la campagne. Jean-Marie Le Pen, lui aussi, a son avis sur l’héritier frontiste, “un garçon sympathique”, qu’il a rencontré à quelques reprises mais qui ne s’arrête pas régulièrement le saluer au manoir de Montretout. Calcul familial ou politique, Jordan Bardella s’est toujours gardé de critiquer Marion Maréchal.
“Nous ne sommes pas des clones, nous avons des sensibilités et des parcours différents”
“Il est malin, il sait que la vie politique est longue et que se mettre à dos Marion c’est tourner le dos à tout un pan de la droite nationale”, commente un marioniste. Le frontiste maintient : il est hostile à toute politique “de purge”, et considère d’ailleurs que différentes sensibilités devraient pouvoir s’exprimer au sein d’une formation politique, bien qu’il n’ait pas appliqué cette doctrine au parti dont il a la gestion. Lui-même, d’ailleurs, n’est pas totalement aligné sur les idées de Marine Le Pen. “Nous ne sommes pas des clones, nous avons des sensibilités et des parcours différents”, assure-t-il. Plutôt que du “ni droite ni gauche”, il se revendique de la “droite populaire”, avec une “fibre sociale”, considère les questions civilisationnelle et démographique comme majeures. Avec Marine Le Pen, il partage toutefois la stratégie de dédiabolisation. “Vous ne gagnez pas une élection présidentielle en France sans rassurer et rassembler”, affirme-t-il.
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Raison pour laquelle il porte un regard dubitatif sur la campagne d’Eric Zemmour. “Ces gens-là veulent s’amuser, ils ne veulent pas le pouvoir”, lâche-t-il du bout des lèvres. Il connaît, pourtant, la plupart des artisans de la campagne, tant les milieux nationaux sont poreux. Il a côtoyé les uns et les autres au cours de soirées ou d’entrevues. Il a même rencontré Sarah Knafo, après son élection au Parlement européen, en 2019, à la demande de cette dernière. Mais il ne croit pas en l’aventure Zemmour. Il ne s’aventure pas, pour autant, à prophétiser ce qui se passera, dans le “camp national”, en cas d’échec de Marine Le Pen. Meilleur pour prédire les votes des journalistes politiques à la présidentielle que l’avenir de son camp post-élection, il préfère tenir jusqu’au bout la barre du navire qu’on lui a confié. Quitte à percuter l’iceberg.
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