Le télétravail a connu un grand essor pendant la pandémie, mais il a aussi contribué à créer un fossé entre les travailleurs canadiens. Si 40 % de la main-d’œuvre canadienne peut travailler de la maison, cela signifie que six travailleurs sur dix n’ont pas cette chance, soulignent des experts.

Cette situation peut provoquer un certain ressentiment chez les travailleurs considérés comme essentiels qui doivent encore se rendre sur leur lieu de travail, dit Linda Duxbury, de l’Université Carleton. « Nous aurons deux classes de travailleurs : ceux qui peuvent et ceux qui ne peuvent pas [travailler chez eux]. Cela va être un problème », prédit-elle.

Ceux qui ont pu adopter le télétravail, plus particulièrement des professionnels comme les comptables, les avocats et les employés du secteur des technologies, ont pu s’enrichir financièrement pendant la pandémie. Les autres ont souvent dû travailler sur leur lieu de travail ou ils ont perdu leur emploi à cause du confinement.

La professeure Duxbury dit qu’on a louangé le second groupe, mais qu’il ne « se sent plus très important ».

Si 60 % de la main-d’œuvre est exclue d’une transformation importante, cela aura évidemment des répercussions sur la société

La capacité de travailler de chez soi est un moment charnière de l’histoire du travail, même si cela semble réservé aux travailleurs ayant des connaissances particulières, soutient Erica Pimentel, professeure adjointe à l’Université Queen’s.

« Si 60 % de la main-d’œuvre est exclue d’une transformation importante, cela aura évidemment des répercussions sur la société », souligne-t-elle.

La professeure Duxbury préfère être prudente sur l’avenir du télétravail. Elle entend souvent parler d’entreprises voulant obtenir des conseils sur la meilleure façon de procéder. Elle juge qu’il est encore trop tôt pour évaluer ce système puisque les entreprises expérimentent un grand nombre de modèles.

« Le télétravail a été une grande expérience de laboratoire au cours de la pandémie. Nous nous dirigeons vers une seconde expérience : le modèle hybride. »

Autre problème : si les gens travaillent plus longtemps lorsqu’ils sont en télétravail, cela ne signifie pas qu’ils seront plus productifs, ajoute la professeure Duxbury.

« Ce n’est pas parce que nous avons été tout le temps en télétravail depuis plus de deux ans que cela en fait un modèle durable pour plusieurs personnes et plusieurs emplois. »

Mais le télétravail est de plus en plus considéré favorablement, notamment par les membres de la génération Z, qui ont toujours eu accès à Internet et aux réseaux sociaux, souligne la professeure Pimentel.

Ces nouveaux venus arrivent sur le marché du travail en ayant des attentes différentes envers les patrons. Ils comptent concilier les divers aspects de leur vie d’une autre manière que leurs prédécesseurs, dont plusieurs sont devenus des patrons.

« Il y a ce décalage multigénérationnel entre les patrons et leurs employés. Tout le monde est insatisfait », constate la professeure Pimentel.

Plusieurs entreprises souhaitent le retour à temps plein de leurs employés au bureau, mais elles rencontrent une forte opposition, reconnaît la professeure Duxbury. Le manque de main-d’œuvre force la main des employeurs qui doivent se montrer plus flexibles. Et ceux qui pourraient en profiter le plus, ce sont les techniciens de pointe, lesquels ont été en télétravail pendant la pandémie.

Le télétravail est devenu la règle dans ce secteur, car la concurrence pour le recrutement est féroce, dit Kristina McDougall, fondatrice et présidente de la société de recrutement Artemis spécialisée dans le domaine des technologies de l’information.

« La plupart des entreprises doivent être flexibles, à moins qu’on doive absolument être sur les lieux pour travailler », mentionne-t-elle.

La croissance du télétravail transforme aussi le recrutement, car les gens peuvent travailler de partout. Ils n’ont plus à demeurer près du bureau. Certes, les employés ont accès à plus de postes, mais les entreprises peuvent miser sur un plus grand bassin de candidats.

Selon Mme McDougall, la tendance vers le télétravail est irréversible pour certains secteurs comme la technologie, car la pandémie a démontré que les gens peuvent travailler à l’extérieur des bureaux.

« On ne peut pas remettre un génie dans sa bouteille. Les gens considèrent qu’il est futile de se rendre au bureau tous les jours. »

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