Publié le 7 juil. 2022 à 6:01
Emu et davantage encore. Quand, au soir du second tour des législatives, Olivier Dussopt apprend qu’il vient d’être largement élu (58,86 %) pour la quatrième fois consécutive dans son Ardèche natale, il commence par remercier tout le monde (les électeurs, ses soutiens, sa suppléante), puis il fond en larmes lorsqu’il lâche : « Je voudrais dire aussi à ma mère et à Pierre que je les aime. »
Il est très rare qu’Olivier Dussopt s’épanche en public. On ne sait si, ce soir-là, les larmes coulent à cause de la fatigue (il est au gouvernement depuis quatre ans et demi) ou du soulagement, mais il vient de gagner son pari : être réélu à après être passé du PS à la Macronie en cours de mandat.
Fils d’ouvriers et député à 29 ans
A presque 44 ans, il est le plus atypique des jeunes ministres. Il a certes accédé au gouvernement par la volonté d’Emmanuel Macron et gravi un à un les échelons : secrétaire d’Etat à la Fonction publique, puis ministre délégué aux Comptes publics, et maintenant ministre du Travail . Mais il n’a découvert ni les responsabilités politiques ni les Français grâce au chef de l’Etat.
Entré à l’Assemblée à 29 ans, en 2007, il a été maire d’Annonay dans le Nord Ardèche de 2008 à 2017. Il n’a jamais été strausskahnien et il a voté contre le traité constitutionnel européen en 2005. Il est fils d’un ouvrier carrossier, mort à 53 ans d’un cancer – en 2007, l’année de sa première élection – et d’une ouvrière intérimaire qui a exercé dans l’agroalimentaire, la parapharmacie, qui a travaillé sur une chaîne et dans la manutention.
L’échange houleux avec Macron
C’est d’ailleurs sa vie à elle qui a provoqué, le 17 septembre 2014, le premier contact, houleux, entre Olivier Dussopt et Emmanuel Macron, alors ministre de l’Economie. Ce dernier venait de qualifier les ouvrières de Gad d’« illettrées ». Dans les couloirs de l’Assemblée, le député se plante devant le ministre : « Je me nomme Olivier Dussopt, je suis député de l’Ardèche, ma mère est ouvrière, n’a pas de diplôme et a été licenciée à deux reprises. Vous l’avez insultée. » Lors de cette scène racontée par le « Canard enchaîné », le député reproche au ministre son « mépris » et son comportement de « connard » ; il se voit répliquer qu’il est « nul » et n’a « rien compris ».
« Ce qui compte, c’est ce qui se passe après », commente aujourd’hui Olivier Dussopt : « Un ministre de l’Economie qui s’excuse devant l’Assemblée nationale, qui reprend contact avec moi et répond toujours présent pour accompagner une entreprise en développement dans ma circonscription. »
Règlement de comptes avec le PS
Trois ans plus tard, en novembre 2017, en plein examen du budget, Olivier Dussopt passe en une semaine d’opposant à secrétaire d’Etat à Bercy. « Un socialiste en peau de lapin », fustige alors Benoît Hamon (qui quittera lui aussi le PS). Il demeure aussi décrié par ses anciens camarades, ironisant sur la devise de son département – « Ardéchois coeur fidèle » -, que loué, ces derniers temps, au sein de la Macronie. « Son sens exceptionnel de la négociation, sa capacité à encaisser et sa fidélité aux personnes et aux idées qu’il a choisies en feront une recrue de choix », a écrit Edouard Philippe l’an dernier. Dans sa terre normande, on parle des « faiseux », par opposition aux « diseux ».
Le président aime bien les gens qui font le boulot silencieusement.
Un élu LREM
Ce n’est pas fini : le 15 avril sur France Info, Emmanuel Macron, qui ne cite pas souvent ses ministres, l’avait jugé « très talentueux » : « Il fait un travail formidable. » « Il a un bon bilan et il ne fait jamais un pas de travers, le président aime bien les gens qui font le boulot silencieusement », confie un pilier de LREM. Ces derniers jours, il tentait de rallier des députés de gauche à la cause pour étoffer la majorité présidentielle, relative à l’Assemblée. Mais pas pour constituer, avec son petit parti Territoires de progrès, un nouveau groupe au sein de la majorité (le président ne veut pas).
Au gouvernement, Emmanuel Macron ne lui a confié que des missions difficiles pour un ancien socialiste : la réforme de la fonction publique et maintenant, celle des retraites, avec le report de l’âge légal à 65 ans. « On verra », lâche-t-il de façon sibylline. Il est vrai que depuis quelques semaines, le chef de l’Etat se contente de dire qu’il faudra « travailler plus longtemps » sans mentionner d’âge précis, puisque les 65 ans ne sont plus « un totem ». Déjà explosif avant les législatives, le report de l’âge légal dépend désormais des alliances qui pourront être nouées (ou pas) à l’Assemblée.
L’homme des dossiers arides
« Ce qui m’intéresse dans cette réforme, c’est le minimum à 1.100 euros, la prise en compte de la précarité, de la pénibilité et des carrières longues », répète le ministre. Mais tout de même, lui qui « sait ce qu’est le chômage, la difficulté à finir les mois et ce que signifie de dépendre d’une aide sociale », n’a-t-il pas l’impression d’être utilisé comme caution ? Il élude comme s’il chassait cette possibilité de son cerveau – « Je ne crois pas qu’Emmanuel Macron fonctionne comme cela » .
Olivier Dussopt aime les dossiers « arides ». Au ministère du Travail, domaine où la législation est le fruit d’une histoire et où le déplacement d’une virgule peut changer la vie de milliers de personnes, il va être servi. « Il n’a pas cherché à masquer sa méconnaissance des dossiers », note, au sortir de leur premier rendez-vous, François Hommeril, le président de la CFE-CGC. Cela a été pris comme un gage « d’humilité » par les syndicats réformistes.
C’est un mec normal qui a plus de poids politique que sa timidité ne le fait penser.
Laurent Berger Secrétaire général de la CFDT
« C’est un mec normal qui a plus de poids politique que sa timidité ne le fait penser », pense Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT. Outre les discussions sur la réforme des retraites, les deux centrales veulent obtenir une modification des ordonnances Macron adoptées au tout début du premier quinquennat. Avec sa causticité habituelle, François Hommeril a lancé au ministre : « On a au moins un truc qui nous rapproche, vous et moi, c’est qu’on a voté contre les ordonnances. » Olivier Dussopt a souri de cette référence à son passé socialiste.
Une conversion progressive
Plutôt qu’un soudain changement de bord, son histoire est celle d’une conversion progressive. Il y a plus de vingt ans, en 1999, il est entré au PS par son aile gauche, dans le courant de Benoît Hamon. Du gouvernement Jospin, il aime alors les 35 heures et la CMU. Lorsqu’il entre à l’Assemblée, en 2007, il confie déjà aux « Echos » : « Le PS ne sait plus où il habite, ne sait pas ce qu’il défend ni ce qu’il revendique. » Il veut alors participer à sa « reconstruction » dans le sillage de Martine Aubry, dont il sera le porte-parole à la primaire de 2011. Sa conversion la plus radicale a lieu au cours du quinquennat de François Hollande, lorsqu’il passe du soutien à la maire de Lille à celui de Manuel Valls, dont il sera aussi l’éphémère porte-parole à la primaire de 2016.
« J’ai besoin de croire en des gens, de voir quelqu’un d’entraînant, de motivant, qui donne envie de faire avec », explique-t-il. Olivier Dussopt cherche alors davantage « celui ou celle qui lui paraît le meilleur au bon moment » qu’une adéquation totale à ses idées. Et cela sera capital aussi pour son passage en Macronie : « Le président m’a donné des responsabilités et il m’a fait confiance. Et cette confiance a comme contrepartie, outre que ce qu’il fait me va bien, un engagement total. » Emmanuel Macron a été le premier à lui proposer d’entrer dans un gouvernement.
On peut y voir du pur opportunisme ou l’aboutissement d’une lente désillusion vis-à-vis du PS. Quoi qu’il en soit, la rupture s’est nourrie de plusieurs ingrédients. La très classique découverte de la gestion sous contrainte à la mairie d’Annonay, « un mandat d’apprentissage du réel », dit-il. Le sentiment d’immobilisme : « Si vous regardez les socialistes de 2000 à 2020, vous avez un peu l’impression de jouer toujours la même pièce avec les mêmes. » Ou encore : « Un des défauts du PS dans cette période, c’est que ceux qui arrivaient à émerger étaient plutôt parisiens ou franciliens et étaient des habitués des nuits dans les couloirs de Solferino. Ce n’était pas mon cas. »
La valeur travail plutôt que le revenu universel
Il rejette le revenu universel prôné en 2016 par Benoît Hamon : « C’était impossible pour moi. C’est une trappe à pauvreté pour que la société se donne bonne conscience : on filerait 800 balles à quelqu’un sans accompagner son émancipation et on serait quitte ! » Il préfère la valeur travail et guette chaque trace de mépris de classe.
Une méfiance qui colle à la peau quand on a soi-même gravi l’échelle sociale. Des souvenirs qui restent, comme l’interdiction formulée par sa mère de faire de la politique avant d’avoir décroché son diplôme de l’IEP de Grenoble – « pas de dispersion ». Ou ce stage à la Cour des comptes qu’il a fallu décliner faute de pouvoir payer un logement à Paris. Ou encore les rares félicitations lors de sa première élection, en 2007 : « Personne n’avait mon numéro. » Et de conclure : « Le PS ne m’a pas accompagné ou donné des responsabilités avant que je les gagne par moi-même. »
Codes sociaux et regard des autres
Un sentiment de décalage qui colle à la peau aussi : « Au début, vous ne faites pas attention, puis vous vous rendez compte que c’est mieux de tenir votre fourchette de la main gauche que de la main droite. Si vous ne l’avez pas appris petit, vous ne le savez pas et vous le constatez un jour dans le regard des autres. C’est un monde de codes sociaux et de paraître. »
«Une ascension sociale, c’est une forme de transition permanente et quand vous êtes en transition, vous ne voyagez pas toujours accompagné.»
Olivier Dussopt
Le fameux syndrome de l’imposteur et son corollaire, une forme de solitude : « Une ascension sociale, c’est une forme de transition permanente et quand vous êtes en transition, vous ne voyagez pas toujours accompagné. » A ce stade, le ministre tient à rassurer : « Mais ce n’est pas grave, je ne me suis jamais dit que je me vengerais en étant ministre. La revanche, c’est la revanche sur la vie, c’est montrer que même si on a traversé des difficultés, on peut réussir. Je vais m’en sortir, faire un truc qui m’éclate et j’y arriverai. » Comme à son habitude, son ton était si doux qu’il a fallu se rapprocher et tendre l’oreille pour l’entendre.
De l’Emmanuel Macron de 2017, il a applaudi la promesse de lutter contre « l’assignation à résidence ». Quand on lui demande ce qu’il a pensé de ses petites phrases ultérieures sur « les gens qui ne sont rien » et ceux qui peuvent « traverser la rue » pour trouver un emploi, il se lance dans une explication de texte pour les défendre.
« Complice » avec Darmanin
Il se sent « complice » avec Gérald Darmanin qui arbore ses origines populaires – « On est très différents mais on a des ressorts identiques. » Lui n’est pas dans le défi frontal à la manière d’un boxeur, plutôt dans le désir de vouloir sans cesse « être à la hauteur ». Est-ce là l’explication de sa discrétion ?
Bien plus expansive que lui, Olivia Grégoire, son ancienne collègue de Bercy, le jure : « On se ressemble. Autour d’une bonne bouteille de vin, c’est un épicurien. » Lui dit : « Je ne suis pas un homme d’estrades, je préfère être dans un dossier un peu compliqué qu’enfoncer des portes ouvertes avec beaucoup d’énergie. »
Au Budget, il était devenu le héros de l’hebdomadaire « Le Point », qui célébrait en lui « le dernier rempart contre le laxisme budgétaire ». Il est vrai qu’il insistait pour que les aides de l’exécutif destinées à amortir le choc de l’inflation pour les Français ne soient pas pérennes. Sa loi de Transformation de la fonction publique, votée en 2019, a, entre autres, élargi le recours aux contractuels, facilité les mobilités et créé un dispositif de rupture conventionnelle sur le modèle du privé. « On a aussi institué une complémentaire pour les agents, une CDIsation pour les catégories B et C après deux contrats et des primes de précarité », souligne-t-il.
Les syndicats de la fonction publique jugent dans leur majorité qu’Olivier Dussopt « est resté droit dans ses bottes sur tous les points essentiels de la loi » et a été « sourd sur les rémunérations ». Mais ils divergent sur les conséquences pour le service public. Les uns dénoncent un « démantèlement du statut » de fonctionnaire par grignotages répétés ; les autres notent que le grignotage préexistait et le créditent d’avoir « évité certaines approches très à droite, en obtenant que les contractuels restent de droit public. »
Sur son degré d’écoute, ils ont aussi senti une évolution dans le temps : « Sur la fin de son mandat, il était dans l’obligation de discuter mais n’avait plus la volonté de trouver un compromis. » L’une des questions sur la réforme des retraites est, précisément, le temps qui sera consacré à la recherche de compromis.
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