C’est un penseur majeur de la question des minorités, un historien, spécialiste des droits civiques américains, qui fait son entrée dans le temple du pacte républicain. Un intellectuel noir, dont l’histoire familiale est en partie issue de celles des colonies, qui prend un poste qu’avait en son temps occupé Jules Ferry. Pap Ndiaye n’ignore ni la force symbolique ni la portée historique de cette nomination. Il les revendique même. Peut-être est-ce même pour cela qu’il a accepté. Sans doute est-ce également pour cette raison qu’il a été tant conspué.

Par l’extrême droite lepéniste : « Ce choix de mettre à la tête de l’éducation nationale un homme qui défend l’indigénisme, le racialisme, le wokisme, est terrifiant pour les parents que nous sommes » (Marine Le Pen sur Twitter). Par l’ultranationalisme zemmouriste (Eric Zemmour, sur BFM-TV) : « Emmanuel Macron avait affirmé qu’il fallait déconstruire l’histoire de France. Il passe aux travaux pratiques avec monsieur Pap Ndiaye. » Mais également par des républicains nationalistes, assimilant le nouvel antiracisme au disqualifiant « islamo-gauchisme ».

Insultes révélatrices de « l’impensé colonial »

Des « insanités », s’indigne Jacques Toubon, ancien Défenseur des droits, c’est-à-dire « des choses qui relèvent de la déraison ». Car depuis quelques années, « les débats sur l’identité sombrent dans la plus grande irrationalité », poursuit-il. Des attaques qui ne troublent « pas plus que ça » le nouveau ministre, que nous avons rencontré les 14 et 15 juin à Paris, tant il n’a « aucune estime » pour ses détracteurs les plus outranciers. « Ce sont ceux qui prétendent que Pétain a sauvé les juifs français qui sont les véritables falsificateurs de l’histoire de France », rétorque Pap Ndiaye, qui considérerait presque ces insultes comme « un badge d’honneur ». Des attaques jugées révélatrices de « l’impensé colonial » qui « hante la société française », selon l’essayiste Christian Salmon (dans une chronique sur le site Slate, le 24 mai). Car le « isme » de son « indigénisme » supposé est « une astuce langagière bien commode pour ne pas prononcer le mot “indigène” tout en lui donnant un large écho », remarque le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne, sollicité par Le Monde.

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Les raisons d’un tel acharnement ? « Confier le ministère le plus emblématique de la République et l’éducation des enfants à un homme noir qui ne renie pas ses convictions en matière de lutte contre les discriminations peut être vécu par certains comme un affront », constate Pap Ndiaye. Qu’un Noir soit un musicien de renom, un célèbre écrivain ou un grand footballeur, soit. Mais un ministre de l’éducation… « Les attaques racistes contre Pap Ndiaye me font penser à celles contre Blaise Diagne [1872-1934], alors député en France, élu du Sénégal, il y a tout juste un siècle, remarque l’historien Pascal Blanchard. A l’extrême droite comme à L’Action française, on ne pouvait accepter qu’un Africain, engagé contre le racisme, puisse appartenir à un gouvernement de la République française, à l’heure de l’Exposition coloniale. Les vieux fantasmes du temps des colonies reviennent tel un boomerang mémoriel. »

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