Jamais les chiffres du mal-être au travail n’ont été aussi élevés et jamais les représentants du personnel n’ont été aussi éloignés des salariés. Selon le baromètre d’Empreinte humaine, cabinet spécialisé dans la prévention des risques psychosociaux, le nombre de cas d’épuisement professionnel a augmenté de 25 % entre juin et octobre 2021. Dans le même temps, 59 % des comités sociaux et économiques (CSE) manquent d’échanges avec les salariés selon le cabinet Technologia, un des leaders de la prévention des risques psychosociaux.

« D’abord, il y a eu les confinements, puis le télétravail, ensuite les obligations de manger devant son ordinateur. Toutes ces directives ont isolé les salariés et complexifié le dialogue social », s’alarme auprès de Marianne Jean-Luc Soutoul délégué du personnel Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) chez VitalAire, une filiale d’Air Liquide. L’homme est également référent national au niveau de la santé au travail et membre de la Commission nationale sécurité et santé au travail (ancien CHSCT).

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« Avec le télétravail, nos élus ont perdu le contact avec les salariés. Beaucoup essaient de monter des groupes WhatsApp pour nouer une nouvelle relation. Mais pour rassembler les collaborateurs, ils ont besoin d’obtenir toutes les adresses mails. Or, les employeurs refusent de les donner en se référant au règlement général de protection des données, la RGPD », s’exaspère Franck Herrmann, secrétaire national CFDT au pôle prestataire de services (centres d’appels, etc.).

Après le télétravail, le flex-office

Au lendemain des confinements, beaucoup d’entreprises ont multiplié les réorganisations et les plans sociaux. Dans ce cadre, comment prendre le pouls social d’une entreprise ? Un salarié en difficulté se trouve doublement isolé : avec le télétravail, il ne bénéficie plus des cafés et des déjeuners d’entreprise avec ses collègues et il perd les occasions de rencontrer les élus dans les locaux.

Au niveau national, Jean-Luc Delegnes, le président de Technologia perçoit ce double problème : « La pandémie a accentué les tensions dans les entreprises. Tandis que les relations entre les élus et les collaborateurs se sont distanciées. » Ce paradoxe risque de s’installer durablement dans le temps. « La plupart des sièges des entreprises travaillent en flex-office, c’est-à-dire qu’elles suppriment les loyers inhérents à leurs immeubles pour investir dans des locaux plus petits. Les collaborateurs n’ont plus de places attitrées ».

Manque d’élus du personnel

Cette situation est d’autant plus complexe, qu’elle intervient dans un contexte de fragilisation du dialogue social. La loi El Khomri de 2016 – votée durant le quinquennat de François Hollande – et les ordonnances d’Emmanuel Macron de 2017 ont fusionné toutes les instances – les délégués du personnel (DP), le comité d’entreprise (CE) et le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) – en une seule entité, le fameux CSE. Sous prétexte de simplifier le Code du travail, ces ordonnances ont déséquilibré encore un peu plus les pouvoirs au sein des entreprises. Résultat, sur le terrain, Technologia mesure une baisse de 30 % des élus du personnel.

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Ceux qui sont encore en fonction sont débordés et ne parviennent plus à gérer toutes les demandes. « Depuis les ordonnances travail de 2017, beaucoup de représentants du personnel n’ont plus le temps de préparer les négociations. Ils deviennent le bureau d’enregistrement de ce que souhaitent les directions générales d’entreprise fustige Jean-Luc Soutoul. Et de poursuivre. Nous n’avons également plus le temps, ni les moyens de défendre correctement les salariés. Pour résister à la pression, il faut être hyperstructuré ». Jean-Luc Soutoul sait de quoi il parle. En 2018, il a dû être arrêté en raison d’un épuisement professionnel.

Syndicats affaiblis

Chez Technologia, Jean-Claude Delegnes établit le même constat : « Les CSE n’ont plus le temps de questionner des points essentiels, tels que les dérives concernant les techniques de recrutement ! ». Franck Herrmann témoigne du même épuisement chez ses délégués du personnel : « Depuis les ordonnances Macron, les élus centralisent tout. Cette surcharge de travail les empêche de régler les problèmes du quotidien », s’inquiète-t-il. Affaiblis, les syndicats n’ont plus les moyens d’être un contrepoids suffisamment solide face aux directions générales d’entreprise.

Pour pallier ces difficultés, le cabinet Technologia a mis en place une application de mise en relation entre les salariés et les élus. Appelé « Ma vie pro », cet outil comporte également un service juridique dédié au droit du travail. « Des multinationales imposent souvent des règles internes en décalage avec le Code du travail français. Et les salariés méconnaissent leurs droits. Une telle application leur fournit des informations précises sur leur retraite ou sur la définition du harcèlement moral », se réjouit Jean-Luc Soutoul. Si l’outil est intéressant, il n’est qu’une solution temporaire pour remédier à l’appauvrissement des moyens donnés aux syndicats. Seule une réforme de rééquilibrage des pouvoirs en entreprise permettrait de redresser la barre.

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