On n’est jamais avare d’images en Macronie. Depuis quelques semaines, une métaphore navale a surgi dans les conversations des proches d’Emmanuel Macron : le catamaran. Symbolisant le projet pour 2022, le candidat même, le bateau voguerait à vive allure grâce aux flotteurs que seraient les sujets régaliens. Sécurité, terrorisme, immigration pour ne pas les nommer. Quel changement de cap depuis cette campagne de 2017 qui a vu un ancien ministre de l’Economie vanter les mérites de l’émancipation par le travail, d’une certaine rigueur budgétaire, de l’Europe, et mettre sous le tapis tout ce qui relevait de sa part d’inconnu : “l’insécurité culturelle” décrite par le regretté Laurent Bouvet et l’insécurité tout court. “Le régalien n’est pas notre identité de conquête, admet volontiers un de ceux qui comptent le plus dans l’entourage élyséen. En 2022, ce ne sera pas notre majeure, mais l’un des thèmes majeurs ; le président est désormais convaincu que si le politique est à côté de la plaque là-dessus, c’est un accélérateur de particules.”  

“On est en train de perdre les prolos”

Durant le quinquennat qui s’achève, à force de crises et d’attentats, à force de notes secrètes reçues à la tombée de la nuit, à force d’échanges inattendus, Emmanuel Macron apprend – c’est son mot – cette France tourmentée par des dangers, des drames et des dérives. Il comprend que rien ne sert de se représenter en 2022 si son premier mandat ne s’attaque pas à la délinquance qui toujours, aux yeux de ceux qui la subissent, croît, ou aux crispations communautaires qui tiraillent la société. Dans leur remarquable livre-enquête au titre proustien, La nuit tombe deux fois (Fayard), dont L’Express publie des extraits, les journalistes Corinne Lhaïk (hier à L’Express, aujourd’hui à L’Opinion) et Eric Mandonnet (rédacteur en chef du service politique de L’Express) dévoilent avec finesse et détails les ressorts d’une prise de conscience présidentielle. Ils racontent ce dîner de l’été 2019 sur la terrasse élyséenne durant lequel l’hôte déplore devant ses convives (le Premier ministre Edouard Philippe, le ministre du Budget Gérald Darmanin, d’autres ministres et députés) : “On est en train de perdre les prolos.” Qu’importe qu’une petite voix lui réponde “on ne les a jamais eus”, l’essentiel de la scène est ailleurs – dans l’épiphanie macronienne. Le président a fini par l’admettre, “l’insécurité est une réalité, elle tenaille les classes populaires”, écrivent les auteurs. “Il faut s’y attaquer dans les trois années à venir : l’élection de 2022 se jouera sur le régalien.” 

Un an plus tôt, il y a eu le 8 novembre 2018, escapade du chef de l’Etat à Maubeuge, “un jour qui va compter plus que beaucoup d’autres dans le quinquennat”, selon Lhaïk et Mandonnet. En visite dans le collège d’un quartier prioritaire, Emmanuel Macron échange avec la principale. Qui “lui explique que le communautarisme peut être d’autant plus inquiétant qu’il n’est pas violent”. “Elle raconte ce père qui emmène son fils à l’école dans un Renault Espace pendant que la mère et la fille suivent en marchant. Détail qui n’en est pas un : c’est la soeur qui porte le cartable du frère. Elle cite le cas de ce petit garçon qui refuse de serrer la main de son professeur parce que c’est une femme.” De ce déplacement, le président revient ahuri. Déniaisé. Lui qui jusqu’alors plaidait pour une “laïcité ouverte” ne verra plus les choses de la même façon. Presque deux ans plus tard, un projet de loi pour lutter contre le séparatisme est voté à l’Assemblée nationale. Le discours des Mureaux, ferme et limpide sur les menaces que fait peser l’islam radical sur le déjà compromis vivre-ensemble, ne laisse plus de place au doute. 

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Politique migratoire : une nouvelle instance pourrait être créée

Désormais, Emmanuel Macron aborde la présidentielle un bilan régalien en bandoulière. Lui qui s’est longtemps refusé à prononcer un discours fondateur sur la laïcité se targue d’avoir “attaqué l’islamisme radical” plus qu’aucun de ses prédécesseurs. “Maintenant, il faut incarner ce qu’on a fait, dit un conseiller du président. On a fermé les lieux de culte salafistes, on a nommé deux députés pour une mission sur les actes antireligieux…” Bien sûr, le presque candidat entend se servir de cet attirail pour gommer l’étiquette de candidat bourgeois et “multiculti” que certains lui collaient sur le front en 2017. Plus audacieux, il envisage aussi de transformer les mauvais chiffres (en particulier ceux de la délinquance et de l’immigration irrégulière) en arguments de campagne. “Il doit dire : on a tout essayé mais ça n’a pas suffi, la machine ne répond plus”, souffle-t-on à l’Elysée. Traduction : brandir le nombre de reconduites aux frontières pour justifier un big bang administratif, procédural. Prouver que pour régler les problèmes migratoires, par exemple, le simple “jeu de curseurs” est devenu inopérant. “On met des mois et des mois à faire exécuter une obligation de quitter le territoire français (OQTF), explique un spécialiste du dossier. Il y a un travail de mise à plat à effectuer, il est impératif qu’on ait plus d’efficacité dans nos procédures, elles sont devenues illisibles.” La création d’une instance qui permettrait un pilotage plus resserré de la gestion de la politique migratoire semble envisagée. “Actuellement, c’est très éclaté, cela revient au ministère de l’Intérieur, aux Affaires étrangères, à la Santé, au Travail… La question d’une meilleure coordination se pose.” 

“Redonner du sens à l’asile”

La coopération étrangère fait également partie des sujets étudiés de près. Actuellement, à Beauvau comme à l’Elysée, on se plaint de la dépendance de la France vis-à-vis des pays de retour. Parmi les réflexions en cours, la mise en oeuvre d’une meilleure coopération bilatérale. “Nous pouvons dire à un pays ‘nous on a des aides au développement, des partenariats, on peut vous aider sur des tas de projets pour permettre à votre population de mieux vivre, mais en échange vous allez reprendre tant de vos concitoyens, explicite-t-on dans l’entourage du chef de l’Etat. Il faut le faire de façon très froide, dépassionnée.” 

L'Express

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Mais Emmanuel Macron, si marqué par la couverture de L’Obs qui, en janvier 2018, le représente entouré de fils de fer barbelés avec ce titre “Bienvenue au pays des droits de l’homme”, veille aussi à ne pas abandonner toute fibre humaniste. Il réfléchit aux façons de “redonner du sens à l’asile pour qu’il soit une procédure de protection et pas un moyen détourné de rester en France”, dixit l’un de ceux chargés de lui fournir des idées. C’est son éternelle marotte : accueillir moins, mais accueillir mieux. Pour y parvenir, il formulera certainement quelques propositions pour redéfinir les critères d’intégration, tels qu’un meilleur apprentissage de la langue et des valeurs républicaines. Sur ces sujets comme sur les autres, il est l’heure de prouver qu’il a su se réinventer. 

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