Retour à la normale avec la fin du protocole sanitaire dans les entreprises ? « Attention : c’est une nouvelle normalité qui s’est installée », met en garde Sébastien Vernède, directeur du secteur ressources humaines et transformation du cabinet Sia Partners, qui a passé au crible les 7 500 accords d’entreprise conclus sur le télétravail depuis 2018. « Leur nombre a été multiplié par quatre par rapport à l’avant-crise sanitaire», relève-t-il, notant la « dynamique nette en faveur des accords prévoyant deux jours de télétravail hebdomadaires, qui représentent 40 % des accords en 2021, contre 27 % en 2018, au détriment des accords le limitant à un jour (25 % en 2021 contre 44 % en 2019) ».

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Cela correspond à la fois au choix des salariés – 68 % d’entre eux sont favorables à ce rythme, selon Malakoff Médéric – qu’à celui des employeurs eux-mêmes. « Ces deux dernières années nous ont permis de confirmer que deux jours en télétravail étaient une bonne proportion », reconnaît Audrey Richard, présidente de l’Association nationale des DRH (ANDRH), qui parle d’une « hybridation du travail ». « Elle est devenue la norme dans nos entreprises », assure-t-elle.

« Le nombre de métiers éligibles au télétravail augmente »

Sauf profils très particuliers, notamment dans les start-up, le tout télétravail est marginal : seuls 9 % des accords en prévoient la possibilité, selon Sia Partners. « Beaucoup de ceux qui l’avaient adopté ont constaté que cela avait fait exploser leur corps social », observe Benoît Serre, DRH de L’Oréal et vice-président de l’ANDRH.

Malgré la fin des confinements et du télétravail obligatoire, cette question de la cohésion des équipes demeure d’ailleurs au cœur des préoccupations des dirigeants. « Il y a aujourd’hui un risque de fragmentation de la relation de travail entre ceux qui télétravaillent et ceux qui n’y sont pas éligibles », pointe Sébastien Vernède, constatant que, pour ces derniers, les entreprises essayent d’organiser autrement la flexibilité avec, notamment, une approche plus participative des plannings.

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L’expérience du télétravail obligatoire a cependant permis d’ouvrir plus de postes au travail à distance, ce qu’ont fait 40 % des entreprises, selon l’ANDRH. « Plus que le nombre de jours télétravaillés, c’est le nombre de métiers éligibles qui augmente », résume Audrey Richard, donnant l’exemple d’un chef de cuisine, fonction a priori peu propice au travail à distance : « sauf que, à la réflexion, les commandes de denrées peuvent se faire en télétravail ».

Les salariés demandent de la flexibilité aux employeurs

Cela vient évidemment bouleverser l’organisation même des entreprises, devenue la préoccupation de 58 % des DRH, en tête, à égalité, avec le bouleversement des pratiques managériales.

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Les deux sont d’ailleurs fortement liées. « Avec deux jours de télétravail, on multiplie d’autant les jours où l’on n’est pas réunis », souligne Sébastien Vernède, relevant la forte demande de « personnalisation, devenue la base de l’emploi salarié ». La flexibilité hier demandée par les employeurs à leurs salariés est aujourd’hui exigée par les collaborateurs, manageurs en tête.

« Ils nous demandent plus de liberté pour réaliser les objectifs que nous leur donnons », rappelle Benoît Serre, reconnaissant la nécessité de « redéfinir le management ». Car celui-ci a mal vécu la crise : « 43 % des manageurs estiment que le travail à distance a compliqué leur rôle », constate Malakoff Humanis. Au point que les vocations d’encadrement commenceraient à manquer !

« Une certaine idée du manageur a vécu »

« C’est particulièrement vrai pour les jeunes générations, chez qui le développement professionnel ne passe pas par une prise de responsabilité managériale », détaille Matthieu Fouquet, DRH de Onepoint, pour qui « 80 % des salariés ne sont pas dans une logique de progression statutaire, notamment chez les moins de 35 ans, qui se soucient plus d’une reconnaissance de leurs pairs que de celle venue d’en haut ».

Son cabinet de conseil en transformation numérique a donc mis en place un modèle très horizontal, où les salariés désignent ceux qui leur apparaissent les plus experts dans leur domaine, qui, à leur tour, participent à l’évaluation des autres salariés…

Reste que, pour la majorité des entreprises, cette transformation amenée par le Covid-19 et le télétravail est loin d’être aisée. « Il faut lutter contre les habitudes, les conflits de générations, énumère Benoît Serre. Une certaine idée du manageur a vécu : il doit plutôt être celui qui donne du sens au travail. » Le DRH de L’Oréal prévient néanmoins que le chemin sera long : « Cela change les habitudes, mais j’observe que les résistances au télétravail interviennent justement là où on n’a pas su adapter l’organisation et les compétences. »

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Les recommandations de la Cnil

La Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) considère que l’employeur ne peut pas utiliser d’outils de surveillance permanente pour contrôler ses salariés en télétravail. Ainsi, ne sont pas autorisés :

la demande faite à un employé de se mettre en visioconférence tout au long de son temps de travail pour s’assurer de sa présence derrière son écran ;

le partage permanent de l’écran et/ou l’utilisation de « keyloggers » (logiciels qui permettent d’enregistrer l’ensemble des frappes effectuées sur un clavier d’ordinateur) ;

l’obligation pour le salarié d’effectuer très régulièrement des actions pour démontrer sa présence derrière son écran, comme cliquer toutes les X minutes sur une application ou prendre des photos à intervalles réguliers.

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