La cour d’appel de Versailles a débouté un salarié licencié estimant que l’obligation de préservation de la sécurité du collaborateur par l’employeur était remise en cause par cette distance.

Le recours massif au télétravail pendant la crise sanitaire a incité de nombreux salariés français à déménager. Parfois loin de leurs bureaux. Il y a un an, 30% des DRH découvraient que des salariés avaient déménagé pendant cette période, expliquait la présidente de l’Association Nationale des DRH, Audrey Richard.

Généralement les choses se passent bien lorsqu’il y a accord entre la direction et le salarié, d’autant plus que les entreprises cherchent plutôt à retenir leurs collaborateurs qu’à les laisser partir en ces temps de pénurie de talents.

Mais lorsque ce déménagement se fait de manière unilatérale et qu’il est lointain, cela peut-il déboucher sur un licenciement valable? Pour la cour d’appel de Versailles, la réponse est oui.

Choisir son lieu de résidence: une liberté fondamentale

Exemple avec ce salarié qui s’est installé en Bretagne à plus de 440 kilomètres de son bureau sans en parler à sa direction. Pour son employeur, cette distance est source de fatigue et après avoir constaté le refus du salarié de se rapprocher de son lieu de travail, a donc décidé de le licencier pour faute.

Le collaborateur saisit alors la justice, s’appuyant notamment sur l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits l’hommes et des libertés fondamentales, qui prévoit que toute personne a droit au respect de son domicile et au libre choix de son lieu de résidence.

Et de fait, juridiquement, un salarié est libre de s’installer où il le souhaite, cela relève de sa vie privée sauf pour certains professionnels soumis à une clause de résidence car leur activité exige une proximité géographique.

L’employé en question a également mis en avant l’absence de retards lors de ses prises de poste, le fait que sa fonction l’oblige à passer 75% de son temps à l’extérieur et qu’il prend en charge les frais liés à ses déplacements domicile-travail.

Des arguments qui n’ont pas convaincu la cour d’appel de Versailles. Elle considère le licenciement valable car il s’appuie sur l’obligation de l’employeur d’assurer la sécurité du collaborateur.

L’employeur doit veiller à la sécurité et au repos du salarié

Il s’agit du fameux article L.4121-1 du Code du travail: “L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs”, qui s’applique d’ailleurs aussi pour le port du masque.

Les magistrats ont également rappelé que l’employeur doit veiller au repos quotidien de son salarié et à l’équilibre entre sa vie personnelle et professionnelle dans le cadre de la convention à laquelle le salarié était rattaché (forfait jour).

Enfin, le choix unilatéral du salarié a pesé et l’absence d’accord de sa direction. Il s’exposait de fait à des sanctions.

Conséquence, la faute du salarié est établie et constitue donc une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Cette affaire qui pourrait créer une jurisprudence sensible étant donné le nombre important de salariés franciliens ayant fait le choix du travail hybride depuis la province est désormais entre les mains de la Cour de cassation.

“Cette décision me paraît intéressante parce que les juges ont semble-t-il considéré que la préservation de la santé et de la sécurité du salarié prime sur le libre choix de son domicile. En ce sens cela me parait une décision dans l’air du temps du tout « sanitaire »”, explique à BFM Business, Marion Kahn-Guerra, avocate spécialisée en droit du travail.

Mais “jusqu’à présent et à ma connaissance la position de la Cour de cassation en ce qui concerne le choix du domicile du salarié a toujours été de faire valoir la liberté de choix de son domicile sur le fondement de l’article 8 de la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales” poursuit-elle.

Un choix unilatéral pas si rare que ça

Selon l’ANDRH, le télétravail longue distance d’un salarié ne peut pas être source de licenciement. Mais il est bien source d’inquiétude.

“C’est un phénomène nouveau, nous n’étions pas confrontés à cela auparavant, on le prend de plein fouet (…) En tant que DRH, on se dit ‘comment va-t-il faire?’, s’il travaille à Paris et habite dans le sud de la France, il va devoir prendre le train, il va sans doute y avoir des retards régulièrement. On est face à quelque chose qui nous pose des difficultés. L’individuel ne doit pas prendre le pas sur le collectif”, expliquait ainsi sa présidente.

D’un autre côté, avec la levée des restrictions sanitaires, une entreprise peut toujours obliger son salarié à revenir partiellement (voire totalement) en présentiel. S’il refuse alors que les conditions de présentiel ont été négociées, il pourra être sanctionné.

Et il semble bien que ces cas de déménagementspris de manière unilatérale ne sont pas si rares que ça.

“J’ai des clients qui doivent faire face à la problématique de salariés ayant déménagé de façon unilatérale pendant le confinement et qui souhaitent aujourd’hui restreindre le télétravail et se posent la question de l’attitude à adopter par rapport à ces salariés”, nous indique Marion Kahn-Guerra.

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business

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