Fini la pollution parisienne, les métros bondés et le rythme effréné de la capitale : il y a quelques mois, comme des milliers de Franciliens depuis le début de la crise sanitaire, Franck a décidé de quitter Paris. Une décision mûrement réfléchie, majoritairement motivée par la transition professionnelle de sa compagne – reconvertie dans le maraîchage – et les crises d’asthme répétées de sa fille – qui se calment dès que l’enfant s’éloigne de la ville. “Surtout, le télétravail généralisé m’a permis de changer de ville sans quitter mon poste”, indique le trentenaire, responsable juridique pour la filiale d’une grande entreprise de location de logements entre particuliers. Installé à Tours depuis la fin de l’été dernier, à plus de 200 kilomètres du siège de sa société, Franck n’a pas pour autant abandonné l’idée de se rendre au travail en présentiel. “Je n’ai jamais aimé être isolé trop longtemps : j’avais besoin d’un espace de travail où je puisse sentir une certaine ambiance entre collègues”, témoigne-t-il, attaché à l’idée de réseauter autour de la machine à café ou de créer des liens autour d’un déjeuner.  

Depuis la rentrée, le responsable juridique loue donc, entre deux et trois jours par semaine, un poste au sein de l’espace de coworking HQ Tours, qui propose diverses offres d’abonnement à ses clients. Pour 150 euros mensuels “maximum”, Franck a ainsi trouvé le moyen de se brasser avec d’autres télétravailleurs, gérants de start-up ou entrepreneurs locaux, tout en gardant sa motivation professionnelle intacte. “Je travaille entouré de collègues depuis dix ans… Ça aurait été psychologiquement rude de me retrouver seul chez moi, face à mon écran, toute la journée”, fait-il valoir. Lors de son arrivée à Tours, l’homme se réjouit même d’avoir pu choisir entre plusieurs offres d’espaces de coworking. “Il y en avait moins qu’à Paris, c’est sûr, mais j’ai quand même trouvé cinq ou six sites différents, dont deux ont retenu mon attention”, témoigne-t-il. 

Une offre conséquente pour une ville de moins de 140 000 habitants, dans laquelle ce type d’espace était encore rarissime il y a cinq ans. “Quand on a ouvert, en 2018, il n’y avait aucun espace de coworking à Tours : seulement quelques entreprises qui faisaient de la sous-location de bureau”, raconte Julien Dargaisse, fondateur du HQ Tours. En l’espace de quelques années, l’entrepreneur a vu la concurrence se multiplier autour de lui, tout comme la demande des clients. “Notre espace est devenu rentable très vite et s’est rapidement rempli à 100%”, explique-t-il. Et malgré un léger coup d’arrêt dû au premier confinement, ses bureaux sont à nouveau remplis à “près de 90%” post-crise sanitaire. “Les gens sont revenus à fond, et on a même vu apparaître de nouveaux profils de clients”, glisse Julien Dargaisse. Outre les indépendants et les start-up habituellement accueillis au sein de ses espaces, le gérant rencontre désormais les télétravailleurs de grandes sociétés ou d’entreprises intermédiaires, ayant quitté Paris durant la pandémie ou ayant fui l’inconfort professionnel de leur domicile. “Vu la situation sanitaire, je crois que le coworking, notamment dans les moyennes villes, a de beaux jours devant lui ! Pour moi, c’est même une profession qui est en train de passer de l’adolescence à l’âge adulte”, s’exclame-t-il, ravi. 

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“Réel enjeu”

Une analyse confortée par les chiffres : selon le dernier baromètre sur le marché de l’immobilier de bureau, réalisé par la plateforme spécialisée Ubiq et publié en novembre 2021, il existe désormais 2787 espaces de coworking en France – soit 60% de plus qu’en 2019. Et si la plupart des structures (34%) sont situées en Ile-de-France, les régions sont, elles, de plus en plus plébiscitées. Marseille accueille ainsi 5% des espaces de coworking français, suivie de près par Lyon (4,7%), Bordeaux (4,5%), Lille (4,2%) et Nantes (2,5%). Et les villes moyennes, elles, ne sont pas en reste : Aix-en-Provence, Metz, Villeneuve d’Ascq, Saint-Herblain, Grenoble ou encore Roubaix se situent toutes dans le top 15 des villes offrant le plus de bureaux sur la plateforme Ubiq – dont 90% des annonces concernent des espaces de coworking. “Ce classement évolue très vite, et nous pourrions rajouter entre autres Perpignan, Saint-Etienne, Angers, Strasbourg, Annecy, Nancy, Villeurbanne ou Dijon”, précise Mehdi Dziri, directeur général de l’entreprise. 

Un phénomène massif, notamment motivé par la crise sanitaire, qui attire l’attention des géants du secteur. “Le coworking dans les villes moyennes est en train de grandir et s’est considérablement accéléré depuis le Covid”, décrypte Christophe Burckart, directeur général d’IWG, l’un des leaders des espaces de coworking en France. “Mais ce qui est intéressant, c’est que le marché n’est pas encore mature : il y a donc un réel enjeu, et de vraies opportunités à développer”, ajoute-t-il. Le spécialiste l’a bien compris : en pleine période d’incertitude sanitaire, les entreprises ont de plus en plus besoin de solutions flexibles, permettant de faire varier leurs espaces de travail en fonction de l’évolution de leurs effectifs. “Et les salariés, eux, sont désireux d’un modèle de travail hybride, alliant télétravail et journées de présentiel, pouvant être réalisées depuis partout en France”, résume Christophe Burckart.  

Immobilier plus souple et sans engagement

Résultat ? Les espaces gérés par IWG dans les villes moyennes ou situées à proximité de Paris – comme Orléans, Fontainebleau, Maison-Lafitte ou Bourg-la-Reine – ont connu un accroissement “très fort” depuis la crise du Covid, selon le directeur général de l’entreprise.”Et ce sont également ceux qui ont, de loin, le mieux résisté au creux provoqué par le confinement”, assure Christophe Burckart, affirmant que la majorité de ces sites affichent désormais un taux d’occupation “de plus de 90%”. Forte de ce constat, l’entreprise assume son ambition de renforcer sa présence dans les villes moyennes, situées non loin des grandes métropoles. “Notre volonté est d’élargir notre réseau pour mailler le territoire, en faisant appel notamment à des partenaires locaux ou des franchisés”, assure IWG.  

Même constat du côté de Multiburo, qui propose également des espaces de coworking partout en France. “La crise sanitaire a mis en valeur la décentralisation du travail, et a exacerbé cette volonté pour les entreprises de s’engager dans un immobilier plus souple, sans engagement, dont le modèle peut être modifié rapidement”, analyse Stéphanie Auxenfans, directrice générale de l’entreprise. Après deux ans de pandémie, son bilan est clair. “Le Covid a renforcé l’utilité des lieux de coworking en région, et il faut désormais pouvoir proposer à nos clients les espaces nécessaires.” Récemment, sa société a ainsi investi dans différents lieux de coworking situés en dehors des grandes métropoles, comme à Marcq-en-Baroeul, dans la banlieue de Lille. Un espace proche de l’autoroute et des transports en commun, qui permet à ses clients de travailler sans avoir à se déplacer dans le centre-ville de Lille. “Et sans camper à moitié sur la table de la cuisine, sans un bon Wi-Fi”, complète Stéphanie Auxenfans.  

Des salariés “venus se mettre au vert”

Partout en France, le modèle semble séduire. Pierre-Alain Touchard, responsable du centre Multiburo d’Aix-en-Provence, a ainsi constaté une évolution “considérable” du marché du coworking dans sa ville. Installé depuis le début des années 2000 dans la zone d’activité des Milles, non loin du centre-ville, l’homme a dû s’habituer à une nouvelle concurrence. “Pendant longtemps, nous n’étions que deux entreprises à proposer des bureaux partagés. Puis soudain, de nouveaux acteurs ont senti que l’activité avait le vent en poupe”, témoigne-t-il. 

Depuis 2020, quatre centres de coworking ont ainsi ouvert dans la zone des Milles, et un dans le centre-ville d’Aix-en-Provence. “Il y en a des plus ou moins chers, certains font du coworking pur et dur, d’autres proposent d’autres activités… Mais, au final, il y a assez de demandes pour tout le monde”, indique le gérant. Depuis la pandémie, Pierre-Alain Touchard a effectivement vu de nouveaux types de clients s’installer au sein de ses open spaces. “Il y a beaucoup de salariés qui sont venus se mettre au vert depuis les confinements successifs !”, raconte-t-il, évoquant la valse de créateurs, indépendants et employés de grands groupes du CAC 40 “venus s’exiler à Aix-en-Provence” après la crise sanitaire. “Il y a un intérêt grandissant”, conclut le responsable, ravi : en ce début 2022, ses espaces de coworking connaissent un taux de remplissage de plus de 95%.  

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“Mais attention ! Gérer des espaces de coworking, c’est un métier qui s’apprend”, tient à prévenir Gaël Montassier, coprésident de la Fédération professionnelle représentative des métiers de domiciliation, de centre d’affaires et de coworking (Synaphe). Face au succès du phénomène, le spécialiste a vu de nombreuses entreprises se lancer, notamment en région, pour fermer leurs portes six ou dix mois plus tard. “Beaucoup pensent que c’est facile, mais c’est faux. Il faut avoir des notions d’architecture, d’ingénierie, d’économie des coûts… Les marges sont très faibles au départ et vous pouvez vite dévisser”, rappelle-t-il. “Des coworkers naissent tous les jours, et disparaissent toutes les semaines”, confirme Christophe Burckart, d’IWG France. “Le challenge numéro un, c’est être rentable. Et cela nécessite beaucoup d’expérience, et un fort réseau”, rappelle-t-il. Un avertissement qui ne semble pour le moment pas démotiver les acteurs du secteur : selon l’enquête réalisée pour Ubiq en novembre dernier, 52% d’entre eux souhaitent ouvrir de nouveaux espaces de coworking dans les dix-huit prochains mois.  

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