La menace de sanctions guette-t-elle ceux qui ne jouent pas le jeu du télétravail? Le signal envoyé par le gouvernement est clair: des contrôles seront effectués “la semaine prochaine” dans les entreprises pour vérifier si l’extension du télétravail à “deux à trois jours” est bien “mise en œuvre”, a affirmé la ministre du Travail Elisabeth Borne, ce mardi 7 décembre sur LCI. Une annonce qui vient compléter celle du Premier ministre Jean Castex. La veille, il avait appelé à étendre le télétravail à raison de deux à trois jours par semaine là où c’est possible, trois jours dans la fonction publique d’Etat. 

Il s’agit donc d’un retour au rythme d’avant l’été, avec 5.000 contrôles par mois prévus par l’inspection du travail, contre un peu moins d’un millier actuellement. Lors de leurs visites, les inspecteurs du travail “contrôlent le respect des gestes barrières et la remobilisation des entreprises sur le télétravail”, a précisé Elisabeth Borne. Car “il faut absolument qu’on repasse à la vitesse supérieure” et “c’est ce qu’on mesurera dans une semaine”. 

Pas de valeur juridique au protocole sanitaire 

Problème, dans le protocole sanitaire en entreprises du 8 décembre dernier, il n’y a aucune “obligation” à proprement parler, mais bien une “recommandation”. Sans valeur juridique, donc. “Les employeurs fixent dans le cadre du dialogue social de proximité les modalités de recours à ce mode d’organisation au travail, en veillant au maintien des liens au sein du collectif et à la prévention des risques liés à l’isolement des salariés en télétravail”, est-il écrit. 

Autrement dit, ce sont les partenaires sociaux et le chef d’entreprise qui décident, et non le gouvernement. Aucune loi ou décret n’ont, pour l’heure, été adoptés pour imposer le télétravail. Ce, en dépit des demandes des inspecteurs du travail qui, eux, plaident pour une obligation qui augmenterait leurs leviers d’intervention. “Le gouvernement joue de l’ambiguïté entre recommandation et obligation pour convaincre”, explique Isabelle Pontal, avocate en droit du travail au cabinet FTMS.

Une obligation de santé et de sécurité dans le Code du travail 

Seule obligation qui découle du Code du travail, l’article 4121-1 contraint les employeurs à garantir la santé et la sécurité des salariés. Le travail à distance constitue l’une des mesures pour y parvenir, mais pas seulement. Cela peut aussi passer par les gestes barrières, les masques et gels hydroalcooliques, ou les horaires décalés. “C’est par ce biais seulement que les inspecteurs peuvent s’assurer du respect du télétravail. Cette obligation est d’ailleurs beaucoup plus forte que le protocole sanitaire”, prévient Anne Pitault, experte en droit social au cabinet Cornet Vincent Segurel. Les inspecteurs du travail mobilisés pour le Covid-19 – à raison de 5.000 contrôles par mois selon Elisabeth Borne – doivent donc s’assurer que l’employeur a bien mis à jour le Document unique des risques professionnels (DUER). En cas de manquement, la seule sanction possible est la mise en demeure. Le cas extrême qui pourrait susciter une mise en demeure correspondrait à une situation où l’entreprise aurait mis en danger ses salariés en les réunissant sur site, dans une même pièce, sans masque, sans distance de sécurité ou sans horaires décalés. 

L’an dernier, “l’obligation” était inscrite dans le protocole sanitaire de 2020, le télétravail étant exigé “quand c’est possible”. Mais là encore, “le protocole sanitaire n’avait aucune valeur juridique, sans caractère contraignant”, explique Anne Pitault. L’an dernier, 264.000 interventions ont été réalisées, dont 64.000 dédiées à la mise en œuvre de mesures de protection contre le Covid-19, indique le ministère du Travail. Près de 400 mises en demeure ont été adressées aux entreprises qui ne respectaient pas leurs obligations de prévention. Dans 93% des cas, ces mises en demeure ont été suivies d’effet. 7% seulement des entreprises ont donc refusé de se mettre en conformité. “La simple recommandation dans le protocole sanitaire, couplée à l’obligation de sécurité des employés fonctionne”, souligne Anne Pitault. 

D’une recommandation peut-on passer à une obligation? 

Pourtant, lors de son intervention sur LCI, Elisabeth Borne a menacé de rendre le travail à distance obligatoire, s’il n’était pas respecté. Pour ce faire, il faudrait que ce soit inscrit dans la loi, et qu’un décret soit signé. “Légiférer sur le sujet est compliqué parce que les syndicats patronaux sont vent debout contre cette mesure, précise Isabelle Pontal. Ils estiment que ce n’est pas à l’Etat de s’immiscer dans la gestion de l’entreprise, mais à l’employeur.”

L’autre difficulté liée au contrôle du télétravail est celle des moyens humains. L’inspection du travail compte 1.952 agents de contrôle, d’après le ministère. “Ils n’ont pas le temps de contrôler toutes les entreprises pour leur respect du télétravail”, analyse Anne Pitault. Selon elle, les structures du secteur du commerce, de la restauration, médico-social et du BTP doivent être vigilantes, puisqu’ils sont le plus à risque et donc plus susceptibles d’être contrôlés.

Source Google News – Cliquez pour lire l’article original