Le travail a permis aux femmes de s’extraire du foyer, de conquérir leur indépendance financière et de s’accomplir autrement. Le télétravail, littéralement travail à distance, imposé pendant le premier confinement en France puis négocié maintenant dans nombre d’entreprises, a renvoyé une grande partie des femmes (et des hommes) à la maison. 

Si les femmes apprécient le télétravail, ce dernier le leur rend-il bien ? Comment les femmes peuvent-elles tirer les bénéfices, à moyen et long terme, de cette opportunité que représente une organisation plus flexible du travail ?  

Une situation inégale avant la généralisation du télétravail

L’égalité hommes-femmes est non seulement une grande cause du quinquennat du Président Emmanuel Macron mais également du candidat. Globalement, les inégalités persistent entre les hommes et les femmes, malgré un travail à tous les niveaux de la société, et des lois marquantes (loi Rixain en 2021 pour accélérer l’égalité économique et professionnelle). Différences de salaires, moindre présence dans les postes à responsabilités en entreprises, en politique, dans les médias, surcroit de tâches ménagères (80% des femmes réalisent une heure quotidienne contre 36% des hommes, source Observatoire des Inégalités), la situation s’améliore. La France se situe désormais troisième en Europe après le Danemark et la Finlande (source European Institute for Gender Equality). 

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Dès qu’il y a des enfants cependant, les inégalités hommes femmes se creusent, et s’amplifient lors des crises. Pendant le premier confinement, les mères ont, deux fois plus souvent que les pères, renoncé à travailler pour garder les enfants (source INSEE 2020), et certaines ont renoncé définitivement à leur activité professionnelle. 

Les risques d’une (trop) grande porosité entre vie professionnelle et vie privée

Lorsqu’elles travaillent à la maison, les femmes ont 1,5fois plus de risques d’être interrompues par rapport aux hommes. Cela semble normalpuisqu’elles sont 1,3 fois moins nombreuses à disposer d’un espace isolé pour travailler de la maison [Etude BCG de février 2021). Elles sont donc en première ligne face aux diverses sollicitations familiales. Si culturellement elles se sentent concernées par tout ce qui touche à la famille, elles témoignent elles-mêmes également d’une tendance à culpabiliser de “ne pas avoir suffisamment de temps avec les enfants” (source BCG Ipsos février 2021). Cela les rend sans doute assez perméables aux différentes interruptions liées à la vie familiale ; il est par ailleurs vrai que le temps passé par les femmes avec leurs enfants a beaucoup diminué en France depuis 50 ans, contrairement à ce qui se passe dans les autres pays.  

Qui plus est, travailler depuis la maison présente le risque d’augmenter la part de “travail clandestin”, invisible, non rémunéré et non reconnu (ce que dénonçait Simone de Beauvoir). Résister à la tentation de lancer une machine ou d’étendre le linge entre deux réunions sur Zoom relève parfois du supplice de Tantale. Cela n’affecte en rien la productivité des femmes. Le risque est plutôt que ces dernières “profitent” de leurs pauses pour s’avancer dans les tâches domestiques, d’autant plus que ces dernières augmentent puisque chacun est plus à la maison. Ces pauses seraient plutôt destinées à échanger de façon informelle avec des collègues, prendre un café virtuel, ou rester un sas de décompression. A la longue, les journées ‘continues’ peuvent occasionner des sentiments de lassitude et d’usure mentale. 

Des interrogations pour l’avenir

Si 77% des RH ne constatent pas de hausse des inégalités hommes/femmes avec la généralisation du travail hybride, cela reste bien un risque identifié (enquête ANDRH / BCG – février 2022). Les inconvénients du télétravail pour les femmes se révèleraient non pas aujourd’hui mais plutôt à moyen et long terme.  

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Marine Balansard

DR

Il n’est pas impossible par exemple qu’au fil dutemps, s’établisse à la maison une hiérarchisation de la “valeur” du travail. Celui de la femme pourrait devenir moins considéré, non pas uniquement par lesmembres de la famille, mais par les femmes elles-mêmes, puisque d’une partelles sont plus nombreuses à travailler à temps partiel ; et d’autre partles écarts de rémunération persistent (16.6% d’écart entre les hommes et les femmesdans le secteur privé,19,1% chez les cadres..) en équivalent temps plein, maisen réalité 25,9% d’écart si l’on tient compte des différences de volumes de travail, les femmes étant trois fois plus souvent à temps partiel (source INSEE “Femmes et hommes : une lente décrue des inégalités” 09/03/2022).  

Enfin, travailler à distance présente le risque de devenir moins visible au sein des entreprises (“loin des yeux loin du coeur”). Or les femmes ont agi depuis des décennies pour se rendre plus présentes et reconnues. Elles ont fait changer certaines mauvaises habitudes, le “manterrupting” (fait d’être coupée par un homme lorsque l’on prend la parole), le “mansplaining” (fait qu’un homme reformule ou explique ce qu’une femme dit), ou plus simplement encore l’oubli (charte “Jamais sans elles” partant du principe qu’une réunion ou un panel sans femme est “une anomalie notoire”, “une absurdité criante”). Ne pas être oubliées, interrompues ou entendues est plus difficile à réaliser en distanciel, même avec la qualité des outils numériques. Ainsi, le développement de leur carrière pourrait être moindre qu’attendu en raison de cette baisse de visibilité.  

Que recommander aux femmes (et aux autres) en matière de télétravail ?

Travailler depuis la maison requiert de la discipline et de l’organisation, et les femmes savent faire. Chacun gagne à maintenir une organisation robuste, notamment lorsqu’il y a des enfants, et à créer des routines pour que le temps libéré ne devienne pas du temps domestique et ainsi préserver sa vie personnelle sur le long terme. 

Certaines entreprises ont trouvé la solution, en organisant des partenariats avec des espaces de co-working proches des domiciles des collaborateurs. Ce système a l’avantage de répondre à de nombreuses problématiques, sociabilisation, séparation plus claire entre la vie professionnelle et personnelle, espace de travail adapté tout en gardant les avantages de gain de temps et de la flexibilité.  

Enfin, les femmes comme les hommes gagnent à ne pas considérer uniquement les avantages à court terme du télétravail, mais également à bien évaluer les risques à plus long terme. Cela passe en premier lieu par une bonne connaissance de soi, de ce qui nous motive, mais aussi de nos propres limites.  

La vigilance est de mise pour observer puis corrigerles possibles effets néfastes des nouveaux modes d’organisation du travail, enparticulier pour les femmes. Les managers doivent être sensibilisés au risque d’accroissementdes inégalités, et monitorer la répartition homme / femme du télétravail au sein des entités. Enfin, un paradoxe mériterait d’être éclairci avant de se décider sur sa propre organisation du travail : si le télétravail est plébiscité par les collaborateurs, les personnes qui travaillent à distance semblent souffrir psychologiquement plus que les autres. A bonnes entendeuses …  

L'Express

* Après plus de 15 ans d’expérience dans l’industrie financière, univers de décision à haute fréquence et intensité, Marine Balansard met son savoir-faire dans le développement de l’intelligence décisionnelle individuelle comme collective au sein des entreprises et organisations. Marine Balansard est diplômée de Sciences Po Paris, d’un master en Marchés de Capitaux et Finance d’Entreprise et exerce au sein du cabinet de Conseil et Formation ARISEAL en tant que DG. Marine Balansard est co-auteur de l’ouvrage “Décider ça se travaille” aux éditions Eyrolles. 

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